Je vous préviens, elle est très stressée ; elle n’est pas habituée aux interviewes et encore moins d’être photographiée. » Accueil souriant, sympathique et plein d’empathie de Sophie Poirot, 51 ans, directrice adjointe de la société d’insertion Ozange, à Amiens (300 salariés auxiliaires de vie, repasseuses, couturières, femmes de ménage, etc.). Virginie Varrier, 49 ans, auxiliaire de vie, d’Amiens, nous attend dans l’un des petits bureaux proprets de l’entreprise, située au 30 de la route d’Abbeville, dans la capitale picarde. Coquet pull en grosse laine blanche, robe noir et blanc dont elle réajuste le col, effectivement elle est stressée. Ce n’est pas tous les jours qu’on vient l’interroger sur son boulot. Et elle n’aime pas trop parler d’elle. Son travail consiste à aider les personnes dans leur vie quotidienne : confection des repas, toilette, transferts, ménage, etc.
Élève de Brigitte Macron
« Des personnes âgées le plus souvent mais aussi des personnes plus jeunes », confie Virginie Varrier. « Exemple : une dame de 23 ans, en fauteuil roulant à cause d’une maladie de naissance ; une autre de 26 ans, atteinte de sclérose en plaques, aujourd’hui décédée. Et d’autres, atteintes de la maladie d’Alzheimer ou souffrant d’arthrose... » Née le 26 novembre 1973, Virginie fréquente le lycée La Providence où son professeur de français n’est autre que Brigitte Macron. Mais l’école, ce n’est pas son truc. À 15 ans, elle entre en apprentissage dans un magasin de bijoux du centre-ville. À l’issue de deux ans en alternance, elle obtient un CAP et un BEP vente. Puis, elle est embauchée comme assistante dentaire chez deux dentistes de Longueau, en banlieue d’Amiens. « Je répondais au téléphone, nettoyais le matériel, développais les radios, préparais les produits et les plombages. J’aimais ce métier ; je rencontrais du monde et j’œuvrais dans mon petit labo. » Elle exerce pendant sept ans, puis s’arrête pour élever ses trois enfants, deux garçons nés en 1995 et 1998 et une fille en 2000. « Je me suis occupée de ma famille pendant plus de dix ans. J’accompagnais mes enfants à l’école ; parfois ceux des autres. J’étais très prise mais j’ai passé de bons moments. Et puis, les enfants ont grandi ; ils se sont davantage intéressés aux copains qu’à leur mère. Je commençais à m’ennuyer... », explique-t-elle d’un beau sourire détendu. En 2015, elle décide de faire une formation de découvertes d’emplois, travaille en cuisine, en école maternelle (« mais je n’avais plus la patience avec les enfants... »), en maison de retraite (à celle de La Neuville), puis à l’hôpital Sud : « Ça s’est très bien passé ; j’étais dans le service thoracique et vasculaire. J’étais aide-soignante ; c’était difficile, certes, mais j’aimais ça ; j’avais l’impression d’être utile. C’est une vocation. » En 2017, elle travaille un mois à l’hôpital Philippe-Pinel dans un service de maladies très rares (tant psychologiques que physiques). « C’était spécial ; sans me vanter, j’avoue que tout le monde ne pourrait pas faire ça. Il faut préparer les repas, aider les gens à manger, à faire leur toilette ; certains peuvent être agressifs. » Entre temps, elle a obtenu son diplôme d’assistante de vie aux familles (ADVF). Elle s’inscrit à Pôle emploi et découvre l’entreprise d’insertion Ozange qu’elle intègre en 2019 pour un premier contrat de quatre mois en CDD ; elle enchaîne avec un autre de huit mois, puis un troisième d’un an. En mai 2022, elle obtient son contrat à durée indéterminée.
« Je les aime tous »
Son quotidien ? Elle se lève à 6 heures, part au taf vers 7 h 30, en bus ou à pied (« J’aime bien marcher »), rend visite à une dame de 89 ans qui vit seule (« Cela fait partie de mon activité de mandataire ; c’est-à-dire qu’elle me paie avec des chèques emploi-service. Une mission pas facile : je suis obligée de la porter, lui fais prendre son petit-déjeuner, lui fais faire sa toilette ; je l’habille... Je reste environ une heure et demie en sa compagnie. »). Puis, elle file chez d’autres personnes qui, heureusement, résident non loin de son quartier Amiens-Nord, côté Rivery et quartier Saint-Pierre. « C’est un métier décousu »,avoue-t-elle. « On effectue des tâches très différentes. On confectionne les repas ; parfois, il s’agit juste d’une rencontre, de mener à bien une conversation afin de rompre une solitude trop pesante. » Quand tout va bien, Virginie parvient à rentrer chez elle le midi. Pas longtemps : juste une demi-heure. L’après-midi, elle fait surtout le ménage, ce jusqu’à 17 heures, « car certaines personnes mangent tôt ». Elle rentre chez elle vers 20 h 30. Une journée bien remplie. Malgré le rythme, le stress, la fatigue, Virginie trouve des côtés positifs dans son métier : « J’aime rencontrer les gens ; je les aime tous. Parfois, je suis triste quand une personne décède. Il y a des moments forts : quand une dame vous prend la main pour vous remercier et vous dire que vous avez une attitude très humaine à son endroit. Ça m’émeut. Parfois, on rigole bien aussi... » L’aspect négatif ? Ce sont les horaires « et le fait de courir partout. On a l’impression qu’on ne s’arrête jamais. Et puis, il faut avoir la force de soulever les gens. J’ai très mal au dos ; je suis crevée, mais quand j’arrive sur place, j’oublie tout ! » Si son calcul est bon, Virginie devra travailler jusqu’à 67 ans pour bénéficier de la retraite. On s’en doute, la réforme de la retraite, elle n’en pense pas du bien. « Je ne manifeste pas, non, mais je suis totalement opposée à cette réforme antisociale. Ils ne se rendent pas compte, nos dirigeants. J’avoue que je n’ai pas voté pour Macron, pas pour Marine Le Pen non plus. Vous m’avez compris ? » lance-t-elle, un brin complice. Conseillerait-elle son métier à quelqu’un ? « Ma fille travaille ici ; elle va arrêter car elle attend un bébé. Avant, elle travaillait dans le commerce. Je ne l’ai pas incitée à faire la même chose que moi. C’est un métier difficile ; il faut être courageux. Et notre profession n’est pas du tout reconnue. Un peu plus depuis le Covid, c’est vrai. » Mais, on le sait, dans notre société ultralibérale, le courage ça paie peu. Virginie gagne environ 1 300 euros par mois, « grâce à mon travail de mandataire ». Certaines atteignent à peine 900 euros. « C’est comme un mi-temps, mais on ne compte pas ou peu les trajets qui sont chronophages. Quand je rentre chez moi le soir, je mange, j’essaie de regarder un film mais je ne vois jamais la fin. Je m’endors avant. »
26 novembre 1973 Naissance de Virginie Varrier, à Amiens. 1990 Elle obtient un CAP et un BEP vente. De 1995 à 2014 Elle élève ses trois enfants. 2017 Elle réussit son diplôme d’assistante de vie aux familles (ADVF). 2019 Elle effectue des stages chez Ozange où elle est embauchée trois ans plus tard. 2023 Elle est très opposée à la réforme des retraites ; elle ne pourra prendre la sienne qu’à 67 ans.