ll était inutile de se précipiter au tribunal de grande instance de Lille, ce mardi 3 mars en début d’après-midi. L’audience en référé, déjà repoussée, a de nouveau été reportée à ce lundi 10 mars. Me Rilov, l’avocat du Comité social économique (CSE à majorité CGT) de Cargill Haubourdin devait demander la suspension du PSE et plaider contre les 183 suppressions de postes annoncées en novembre dernier. Mais le préfet du Nord ne l’a pas entendu de cette oreille. Suivant la demande de la direction chargée de mettre le plan en œuvre et de la restructuration de l’usine, il a estimé que le TGI n’est pas compétent. Pour la direction, en effet, et donc pour le représentant de l’État, l’affaire est du ressort de la Direccte uniquement. Suite au prochain épisode, en début de semaine.
Reste le fond du problème. Et Fiodor Rilov n’aurait pas manqué de l’aborder en évoquant le second rapport d’étape que vient de remettre le cabinet Progexa sur le projet de réorganisation de la SAS. Dans ce texte de 238 pages, les experts réfutent avec une grande précision les motifs invoqués par la direction pour, à la fois, mettre en place le PSE et les licenciements et pour réorganiser le site nordiste. Après de multiples demandes et l’assurance que, faute de réponse, ils s’adresseraient au juge, les experts de Progexa ont finalement obtenu les comptes sociaux, c’est-à-dire les vrais chiffres de l’entreprise. « Suite à la prolongation du délai de la procédure de la consultation, le rendu du rapport a été décalé au 12 mars 2020 », lit-on dès les premières lignes du rapport intermédiaire. À noter que cette prolongation d’un mois est du fait de la direction (nos précédentes éditions).
Un résultat de 5,9 millions d’euros
Portant un autre regard que celui de la direction sur l’évolution de la rentabilité de l’usine d’Haubourdin, selon les données analytiques, les rédacteurs du rapport sont formels : « L’affirmation stigmatisante du Livre II [selon laquelle] “un résultat d’exploitation ayant connu une chute vertigineuse”, ne peut guère être retenue pour justifier le projet de réorganisation dans sa dimension de fermeture de l’amidonnerie humide et d’une partie de l’amidonnerie sèche ». Le reste est à l’avenant. Concernant l’évolution de la rentabilité de Cargill Haubourdin selon les données P&L (“profit and loss’’ pour “pertes et profits’’ qui analyse la notion d’opportunité anticipée à travers les coûts et les bénéfices attendus et qui permettent de modéliser un projet - ndlr), il s’avère que l’activité totale de l’entreprise dégage un résultat après impôt de 5,9 millions d’euros.
« Il faut savoir, explique Jean-Vincent Koster, que Cargill Haubourdin réalise 92 % de sa production pour le marché européen et 8 % pour le marché français. Sa production pour le marché européen est vendue par Cargill Europe. » C’est là que se situe le premier mensonge de la direction haubourdinoise qui affirme le site déficitaire alors qu’elle rapporte de l’argent à Cargill Europe.
Second mensonge : la direction affirme qu’il faut passer du maïs vers le blé qui est moins coûteux. C’est faux, dit l’expert de Progexa. Le blé est plus cher. Mais quand on transforme du blé, on valorise un ensemble de co-produits (comme l’amidon) ce qui tend à dire que la valorisation du blé est plus intéressante. Sauf que la transformation du blé en amidon ne se fera plus à Haubourdin. Information non sincère En fait, résume Jean-Vincent Koster, « nous avons affaire à un projet de délocalisation. Pour expliquer que l’on ne veut plus investir à Haubourdin, il fallait créer un mythe : le site d’Haubourdin perd de l’argent ».
Les chiffres fournis par Cargill Europe, démontrent le contraire. Tout comme le rapport prouve que les salariés d’Haubourdin ne coûtent pas cher. Au contraire, ils contribuent à la richesse de Cargill Europe. Ainsi, rien ne justifie la politique de Cargill et ses projets néfastes pour le site d’Haubourdin. Mais le travail de Progexa portant sur un rapport économique, il faut savoir que la Direccte ne contrôle pas les motifs économiques du PSE. En revanche, elle peut contrôler la forme.
« Nous estimons, dit Jean-Vincent Koster , que l’information fournie par la direction de Cargill Haubourdin SAS n’est pas sincère. » Face aux arguments de Progexa, la direction n’apporte aucun démenti. Elle se contente pour l’heure de « commentaires d’humeur », observe l’expert « en nous reprochant par exemple de “manquer de nuance” » . Un peu faible face à un rapport de plus de 200 pages. À cela s’ajoute l’impréparation totale de la prévention des salariés en matière de santé. Là aussi, le rapport démontre une carence de la direction en matière, cette fois, de responsabilité civile.