Les enfants de l’aide sociale à l’enfance (ASE) sont par définition un public particulièrement vulnérable. Le champ de la prévention et de la protection de l’enfance est une compétence du Département. Mais là où le bât blesse, c’est que les principaux acteurs, à savoir les éducateurs et les travailleurs sociaux, sont en conflit ouvert avec leur employeur depuis plusieurs mois. Il y a trois semaines, ce dernier a pris un nouveau tournant puisque les équipes de l’ASE et de l’accompagnement des familles d’accueil du secteur de Roubaix-Tourcoing ont fait va-loir leur droit de retrait. Ils précisent se protéger ainsi de « conditions de travail qui impactent gravement leur santé physique, psychique et qui les mettent en insécurité quant à leur responsabilité pénale qui pourrait être engagée ».
Des éducateurs qui boycottent le tribunal
Depuis, ils ne se rendent plus aux audiences convoquées par les juges des enfants. Un mouvement de boycott qui s’étend puisqu’après Roubaix et Tourcoing, ce sont les travailleurs sociaux du Valenciennois qui rejoignent le mouvement. « L’ASE d’Avesnes-les-Aubert et celle d’Armentières dénoncent également une situation invivable. C’est aujourd’hui 17 équipes sur 44 qui ont déclaré un danger grave imminent en lien avec leurs conditions de travail, comme deux services d’accompagnement des assistantes familiales sur sept », précise le syndicat SUD dans un communiqué cinglant. Il y pointe également une « profonde pénurie de moyens d’accueil des mineurs à protéger. L’accroissement du nombre d’enfants confiés par les juges laissés chez eux sans protection devient exponentiel. Tout comme le nombre d’enfants ballotés d’un lit à un autre, d’une structure à une autre, d’une famille d’accueil à une autre devient banal, ce qui est dévastateur et inflige une maltraitance supplémentaire. Nos collègues ne veulent plus cautionner ! » Pour le syndicat SUD, l’une des causes est la suppression des moyens. « La politique gestionnaire brutale et destructrice de Christian Poiret, alors qu’il était vice-président des finances, a supprimé des moyens massifs : 700 places d’accueil et 300 postes de travailleurs sociaux en trois ans. » Pour Olivier Treneul, porte-parole de SUD, il y aurait une violence endémique au Département. « Il y a des violences systémiques de la part de l’institution, insiste-t-il. Depuis 2013,nous faisons remonter une violence managériale qui se multiplie et l’employeur minimise. »
Un métier difficile avec perte de sens
Et d’évoquer « une surcharge de travail liée aux suppressions de moyens dans l’action sociale et médico-sociale ; un épuisement professionnel ; une perte de sens et des conflits éthiques importants qui conduisent à de nombreux arrêts maladie ». Une situation qui ne date donc pas d’hier mais qui semble s’enliser voire s’aggraver selon les travailleurs sociaux. « On nous demande de faire plus avec moins. On est dans un système de management qui est similaire à celui du privé », ajoute Olivier Treneul. Mi-juin, le Département publie un plan d’action avec une dizaine de mesures d’urgence. Il évoque en préambule « des difficultés de recrutement des professionnels de l’action sociale, de l’enfance et de la santé qui ont conduit à une situation difficile dans le domaine de la protection de l’enfance ». Pour remédier à cette situation, il décide de « créer 450 places d’accueil supplémentaires avant la fin de l’année 2022, dont 150 places en établissement et 300 places en famille d’accueil, de recruter 29 travailleurs sociaux complémentaires pour un meilleur accompagnement des enfants confiés et de renforcer le soutien aux professionnels dans l’exercice de leurs missions ».
Dix mesures d’urgence prises par le Département
Des mesures jugées insuffisantes par SUD qui, dans son communiqué publié suite à l’annonce du plan d’urgence, estime qu’il s’agit « d’un plan de communication en guise de rustine et que les annonces de l’exécutif ne sont pas de nature à endiguer le mal-être croissant ».Pourtant, dans ce plan, le Département propose également de limiter à 30 le nombre de situations par travailleur social en créant 16 postes de travailleurs sociaux et de limiter à 25 le nombre de situations par travailleur social la première année de prise de fonction. Pour y parvenir, 13 postes de travailleurs sociaux enfance seront créés.Mais pour SUD, ce plan d’urgence est « ridicule au regard des besoins, notamment face aux démissions, aux droits de retrait et aux nouvelles mobilisations des professionnels ». Les syndicats suggèrent « un plan d’urgence de création massive de places d’accueil adaptées et supérieures au nombre d’enfants placés qui doit se déployer sur l’ensemble du territoire pour offrir à chaque mineur un accueil digne et protecteur ! Un plan d’urgence de déploiement de moyens humains en personnels qualifiés doit également être opéré avec une revalorisation attractive des métiers et des statuts ». La situation reste donc très tendue entre les travailleurs sociaux et le Département. « La prévention et protection l’enfance souffrent des mêmes maux que l’hôpital public. Un millier d’enfants confiés au Département par la justice ne sont aujourd’hui pas protégés », estime SUD.