Ehpad : le risque du syndrome de glissement

par Philippe Allienne
Publié le 11 septembre 2020 à 13:04

« La gériatrie n’est pas reconnue comme une spécialité à part entière ». S’il admet que ce n’est pas le discours officiel, au moins est-ce son sentiment. Antoine Estager est infirmier en Ehpad (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), un établissement rattaché à l’hôpital public de Seclin. Pour expliquer son désarroi : « Nous avons beaucoup de mal à obtenir du matériel neuf. Il nous a fallu négocier durant deux ans pour obtenir deux tensiomètres électriques ! » Ce n’est pas anecdotique. Prendre régulièrement la tension des personnes âgées est indispensable. Avec deux infirmiers en service et un seul tensiomètre pour une centaine de résidents, cela s’avère compliqué et fait perdre beaucoup de temps. C’était pire lorsque le personnel soignant ne disposait que d’un brassard à tension et d’un stéthoscope. Or, en milieu hospitalier, plus encore en Ehpad, le temps est précieux car le personnel est constamment en sous-effectif. À Seclin, ils sont six infirmiers qui travaillent par équipes de deux à raison de 12 heures par jour. Auparavant, les équipes comprenaient près de quatre personnes qui travaillaient 7 heures 30 par jour et permettaient une présence de 6h30 à 21h. Aujourd’hui, il faut aussi travailler les week-ends et assurer en cas de rappel. Les heures supplémentaires s’accumulent et ne sont plus rattrapables. La fatigue est de plus en plus difficile à gérer et empêche un travail de qualité. « Lorsque l’on est amené à effectuer des cycles du samedi au lundi, et que nous accumulons plus de 33 heures de travail, il nous est difficile de déceler les problèmes chez nos résidents. Ces derniers sont pourtant poly-pathologiques et demandent une attention toute particulière. Nous sommes à la limite de la maltraitance ». La situation n’est pas meilleure pour les aide-soignants (trois par secteur de 31 résidents) qui doivent assurer la toilette, le petit-déjeuner et le repas de midi. Résultat : certaines personnes ne mangent pas le midi parce qu’elles ont reçu les soins de toilette tard (à midi parfois) et ont pris leur petit- déjeuner à 10 h 30. Les nuits sont encore plus compliquées avec seulement deux aide-soignants (il n’y a pas d’infirmiers la nuit) pour 90 résidents dont certains peuvent révéler de gros troubles nocturnes. La crise du coronavirus, le confinement et l’obligation pour les soignants de porter un masque en permanence aggrave la situation. Les résidents perdent leurs repères et ne peuvent plus se raccrocher à une expression du visage, à un sourire. « La deuxième vague sera une vague de syndromes de glissement », prédit Antoine Estager. C’est le stade où la personne âgée, en perte de repère, lâche prise et s’enfonce dans sa pathologie.