Deuxième vague de Covid

« On repart à la guerre avec des fléchettes en plastiques ! »

par Philippe Allienne
Publié le 2 octobre 2020 à 13:10

Sommes-nous entrés dans la deuxième vague de la Covid ? Les spécialistes et les politiques ont visiblement des difficultés à se prononcer. Chez les professionnels de la santé, que l’on a eu tôt fait de porter au pinacle durant le confinement, la vraie question porte sur la gestion de cette phase de la pandémie. Et ils ont peur.

Nous ne sommes ni virologues, ni épidémiologistes, pré- vient Isabelle Bosseman, secrétaire générale de la CGT au CHU de Lille. Mais si nous entrons dans une deuxième vague, se sera très compliqué parce que nous ne disposons pas davantage de moyens qu’au printemps dernier. » Pire, depuis cinq mois, explique-t- elle, l’hôpital public avait retardé la prise en charge de pathologies parce qu’il était débordé. Mais encore aujourd’hui, il n’y a pas de moyens supplémentaires pour rattraper ce retard. Comment, s’il n’y a pas de confinement généralisé, les choses vont-t-elles se passer ? Pour Isabelle Bosseman, ce sera de toute façon très compliqué. « Nous ne sommes pas prêts pour affronter la deuxième vague », constate-t-elle avec dépit. Et le personnel hospitalier craint de revivre les affres du printemps dernier.Au Centre hospitalier de Lens où il est infirmier anesthésiste et également responsable CGT, Jean Letoquart ne peut lui non plus dissimuler sa colère. « La première vague a montré trois choses, expose-t-il : l’insuffisance de personnel hospitalier, l’insuffisance des salaires, l’insuffisance de lits. »

L’isolement n’est pas un vaccin

Il fait le même constat que sa collègue lilloise : rien n’a fondamentalement changé alors que « la deuxième vague commence à être visible dans les hôpitaux ». Pour preuve : le nombre de personnes positives à la Covid-19, à commencer par des membres du personnel soignant. Selon lui, le compte est vite fait. Quand un infirmier est malade, cela déséquilibre automatiquement la chaîne des soins parce que les effectifs n’ont pas augmenté. « Non seulement il n’y a pas eu de recrutements, mais les renforts venus lors de la première vague, qui étaient composés de précaires, sont partis se faire embaucher ailleurs que dans les hôpitaux publics. »

Il faut ajouter à cela les jeunes sortant de formation qui n’ont pas envie de venir travailler dans des conditions particulièrement difficiles. « On leur dit de venir chez nous parce que la situation est très dure. Et ensuite ? On les laissera partir ? Résultat, ils ne viennent pas. » Enfin, après l’immense déception qu’a généré le « Ségur de la santé », il n’est pas certain que les soignants aient envie de s’impliquer à la hauteur de ce qu’ils ont fait au printemps.

Les dégâts du Ségur

Le quotidien régional La Voix du Nord a d’ailleurs lancé une enquête auprès des infirmiers et des aides-soignants pour leur demander comment elles et ils vivent la situation. Jean Letoquart en attend impatiemment les résultats. Mais d’ores et déjà, on sait que 30 % de ces catégories, au service des urgences de Lens, ont démissionné en 2019 dans des « conditions de travail ordinaires ». Avec la Covid, on peut s’attendre au pire. « Ici, l’expression “la coupe est pleine’’ prend tout son sens. Le virus est vraiment la goutte de trop ! » Pour Jean Letoquart, c’est clair : « Nous repartons à la guerre avec des fléchettes en plastique. » Un rien sentencieux, il en est persuadé : « L’isolement n’est pas un vaccin. S’il y avait suffisamment de lits et de personnel, le gouvernement n’aurait pas besoin de restreindre les libertés à ce point. »

Pour sévère qu’il soit, le jugement repose sur des faits intangibles. La crise sanitaire permet de tester en grandeur réelle le raccourcissement des délais d’hospitalisation, la téléconsultation, l’ambulatoire à outrance. On l’a vu avec les chambres doubles que l’on ne pouvait maintenir en raison de la Covid. Cela réduit automatiquement le nombre de lits sans compensation, d’autant que l’hôpital s’est empressé de refermer des lits après la fin du confinement alors qu’il aurait fallu garder des lits de réserve. Aujourd’hui, on se retrouve quasiment dans les conditions d’un dispositif hivernal (pour surcroit d’activité) alors que la deuxième vague est là. « Il ne suffit pas d’ouvrir des lits pour faire croire que l’on augmente les possibilités de réanimation. » Voilà qui n’est pas loin de ce que pensent certains cafetiers marseillais (et sans doute bien d’autres en France) qui estiment qu’il vaudrait mieux favoriser les places en réanimation au lieu de fermer les commerces.

Au Centre hospitalier de Lens, les anesthésistes doivent travailler avec des produits fabriqués en Chine dont toutes les informations sont écrites en chinois.
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On endort avec des produits chinois

En tout cas, Jean Letoquart peut comprendre la réaction des restaurateurs et cafetiers. « Au lieu de renforcer les Samu et les Smur, l’hôpital mise sur les activités les plus rémunératrices, sur les centres de production que sont les blocs opératoires. » Mais le constat est encore plus noir quand on s’aperçoit que le manque de matériel est toujours une réalité. « Les infirmières libérales ne disposent pas toujours de gants pour travailler. Chez nous, les anesthésistes, nous devons endormir nos patients avec des médicaments fabriqués en Chine et sur les boîtes desquelles toutes les informations sont écrites en chinois ! »

Dernière trouvaille du gouvernement : établir un forfait payant, à partir de l’an prochain, pour les patients qui passent aux urgences sans hospitalisation. « Bien sûr que la personne qui vient aux urgences à 3 h du matin pour une pathologie qui aurait pu être traitée tranquillement dans la semaine nous indispose. Mais d’une façon générale, il n’est pas sain de punir le patient, quoi qu’il fasse. D’autant qu’il n’a aucune incidence sur les moyens de l’hôpital. Au contraire, la consultation aux urgences est facturée davantage que la consultation chez le médecin traitant. Il rapporte de l’argent ! »