Le 20 juin, des orages de grêle d’une rare violence ont frappé plusieurs communes de Gironde. Trois semaines plus tard, le département était ravagé par les incendies. Si les scientifiques alertent depuis plusieurs décennies sur le réchauffement climatique en cours, nous ne pouvons aujourd’hui plus nier l’évidence. Il est clair que les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient. Les épisodes de canicule, les tempêtes, les inondations deviennent de plus en plus fréquents. Ils entraînent des décès directs, mais ont également des répercussions sur la santé. Pour l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), « les facteurs environnementaux sont responsables de 20 % de la mortalité dans la région européenne ». En 2015, à l’occasion de la COP21, l’OMS lançait l’alerte : « le changement climatique, et plus généralement la dégradation de l’environnement, constitue la plus grande menace pour la santé mondiale au XXIe siècle ». L’altération de la qualité de l’eau, de l’air et de la chaîne alimentaire contribue à l’apparition de maladies pluri-factorielles : pathologies respiratoires ou cardio-vasculaires, cancers, obésité. La crise climatique augmente les maladies à transmission hydrique ou vectorielle ainsi que les zoonoses, maladies infectieuses transmises des animaux à l’être humain.
Les canicules ne sont qu’un début
« Entre 2030 et 2050 », l’OMS « s’attend à ce que le changement climatique entraîne près de 250 000 décès supplémentaires par an, dus à la malnutrition, au paludisme, à la diarrhée et au stress lié à la chaleur. » Chaque année, Santé Publique France « observe pendant les épisodes de chaleur des recours aux soins pour des pathologies spécifiquement ou en grande partie dues à l’exposition à la chaleur : coup de chaleur ou hyperthermie, déshydratation. Les atteintes les plus graves conduisent au décès, ou à des séquelles très importante. la population mondiale n’a pas accès à l’eau potable.
Les nappes phréatiques s’assèchent, et l’avenir alimentaire est incertain, d’autant que les sols et les eaux d’infiltration sont pollués. Les médicaments éliminés par les voies naturelles se retrouvent dans les eaux usées, qui ne sont pas complètement assainies par les stations d’épuration. Les œstrogènes des contraceptifs contribuent à la féminisation des espèces aquatiques, impactant la reproduction. L’agence européenne de l’environnement répertorie 250 000 sites contaminés en Europe, notamment par des produits chimiques. Et la production mondiale de produits chimiques devrait doubler d’ici 2030. Dans les prochaines décennies, de nouveaux conflits pourraient avoir pour enjeux l’accès à l’eau et à la nourriture.
300 ans avant Jésus Christ, Hippocrate rédigeait son traité « des airs, des eaux et des lieux »
Considéré comme le père de la médecine, Hippocrate pointait déjà l’importance de l’équilibre entre l’Homme et son environnement. Au XIXe siècle, les grandes découvertes des hygiénistes ont été sources de progrès sanitaires majeurs dans les pays les plus développés. Les traitements médicaux et la technologie sont apparus comme des solutions aux problèmes de santé des populations. Mais à partir des années 90, l’importance de la qualité de l’environnement sur la santé a été redécouverte, en particulier pour la pollution atmosphérique. Selon les données de l’OMS, la quasi- totalité de la population mondiale respire un air contenant des taux de polluants bien supérieurs aux limites recommandées. L’industrie, l’extraction et le transport d’énergies fossiles, les incendies de forêts, les véhicules à moteurs et les appareils de chauffage sont des sources courantes de pollution atmosphérique. Les polluants les plus préoccupants pour la santé publique sont les particules fines en suspension, le monoxyde de carbone, l’ozone, le dioxyde d’azote et le dioxyde de soufre. La fabrication de plastique libère des éléments toxiques et cancérigènes dans l’atmosphère, tout comme l’incinération des déchets. La pollution atmosphérique est considérée comme la première cause de mortalité environnementale. Elle provoque chaque année sept millions de décès à travers le monde, dont 400 000 décès prématurés en Europe.
Les préoccupations liées aux perturbateurs endocriniens ont émergé dans les années 2000
Ces substances ou mélanges chimiques sont capables d’interférer avec le système hormonal, ou système endocrinien. Ils peuvent avoir des effets néfastes sur des fonctions aussi essentielles que la reproduction, la croissance, le développement ou encore le métabolisme. Ils interviennent dans la survenue de cancers hormono-dépendants (sein, ovaire, utérus) et de maladies neurodégénératives. Ces effets concernent les individus directement exposés mais également leur descendance. Les principaux perturbateurs endocriniens se trouvent dans nos produits quotidiens : cosmétiques, pesticides, herbicides, produits désinfectants. Près de 80 % du plastique usagé est jeté en décharge, contribuant à polluer l’eau, l’air, les sols et les océans. De plus en plus de particules et de microfibres plastiques sont retrouvées dans les tissus humains et le système sanguin. L’exposition est responsable de perturbations endocriniennes, immunitaires, de maladies respiratoires, d’une baisse de la fertilité, et favorise la survenue de certains cancers.
La fabrique de pandémies
Le centre d’Atlanta (USA) pour le contrôle et la prévention des maladies a démontré que 75 % des maladies émergentes proviennent des espèces animales. Les espèces sauvages occupent un rôle prépondérant : elles constituent un réservoir de maladies qu’elles véhiculent. La chercheuse et épidémiologiste Nimâ Machouf, spécialisée en santé internationale et maladies infectieuses rappelle que la déforestation et « l’intrusion humaine dans l’habitat naturel d’espèces sauvages » favorise les zoonoses. Les interactions de l’homme avec cet environnement qui n’est pas le sien « est un facteur de propagation de maladies. » L’expansion de maladies à transmission vectorielle découle aussi de l’élevage intensif, des monocultures et de l’urbanisation. L’intensification de la mondialisation des échanges de biens et des mouvements de personnes favorisent les pandémies. Les changements climatiques induisent également des mutations chez les virus qui se comportent différemment. Si les scientifiques ne se prononcent pas sur le fait que la crise sanitaire liée au Covid-19 était prévisible, ils sont unanimes : à l’avenir, il y aura d’autres pandémies mondiales. L’émergence de nouvelles maladies virales zoonotiques suscite des interrogations sur le rapport au vivant. Le lien étroit entre santé humaine, santé animale et environnementale apparaît de plus en plus évident. En 2008, l’approche « One Health » (une seule santé) est officiellement lancée par les Nations Unies au Vietnam. Le concept « vise à équilibrer et à optimiser durablement la santé des personnes, des animaux et des écosystèmes ».
La biodiversité : une immense armoire à pharmacie naturelle
En 2015, la Commission Lancet Fondation Rockfeller pour la santé planétaire énonçait que la santé humaine dépend de « systèmes naturels florissants et de la saine gestion de ces systèmes naturels ». Pour Aboubacar Kampo, directeur des programmes de santé de l’UNICEF, « des environnements sains sont indispensables à la santé des enfants. Un environnement sain permet de prévenir un éventail de maladies potentiellement mortelles, et jusqu’à un quart des décès d’enfants de moins de cinq ans. En outre, les environnements sains jouent le rôle de soins préventifs et contribuent à faire baisser les dépenses de santé inutiles pour les familles ».Ces environnements sains sont présents là où la nature et la biodiversité ont été sauvegardées. Ils apparaissent aujourd’hui comme des trésors à préserver. Les bienfaits de la biodiversité sur notre santé sont prouvés. Le contact avec la nature renforce les défenses immunitaires et contribue au bon fonctionnement de l’organisme. La base de différentes médecines dans le monde, et de grandes découvertes dans les domaines des sciences médicales et de la pharmacologie sont issues de recherches sur la diversité des micro-organismes, de la flore et de la faune. La biodiversité en tant que telle protège la santé, et régule la circulation des maladies. Le concept « d’effet de dilution » suggère que la biodiversité naturelle, et particulièrement la diversité des espèces, pourrait réduire le risque de maladies y compris les zoonoses.
En septembre 2021, l’OMS et des partenaires des Nations Unies publiaient un recueil de 500 mesures visant « à faire reculer des maladies dues à des facteurs environnementaux et à sauver des vies ». Il est dorénavant vital de réaliser une évaluation complète de l’impact écologique de chaque nouveau projet impliquant des modifications de l’environnement, de repenser l’agriculture, les habitats, et d’investir massivement dans le progrès socio- économique. Monika MacDevette, cheffe du Service Substances chimiques et santé du Plan des Nations Unies pour l’environnement en est convaincue. « Il est essentiel d’orienter les investissements vers les mesures qui permettent de remédier à la triple crise planétaire du changement climatique, de la perte de biodiversité et de la pollution, qui a de grandes conséquences sur la santé. Nous devons accorder davantage d’importance à la nature si nous voulons protéger la santé et atteindre les objectifs de développement durable ». Les problèmes sont identifiés. L’activité humaine détruit l’environnement et engendre de nouvelles maladies. Les scientifiques émettent des propositions et des recommandations dont peuvent s’emparer les dirigeants. Est-ce qu’ils raisonneront comme résonne l’urgence climatique ?