La colombophilie prend son essor en Belgique au début du XIXe siècle, avant de s’imposer dans la métropole lilloise, puis de gagner le Bassin minier. Ici, « l’élevage de ces oiseaux permettait aux mineurs qui exerçaient un métier pénible de s’évader. C’était un moyen de valorisation aussi. Le mineur était maître de sa colonie ». Dans l’Hexagone, le Nord-Pas-de-Calais reste une place forte d’une discipline qui « comptait, sur le plan national, 100 000 licenciés en 1950 », précise Philippe Crespin. Ils ne sont plus aujourd’hui que « 8 000 à pratiquer une activité qui s’apparente plus à un mode de vie qu’à un loisir. En effet, on s’occupe de ses pigeons toute l’année. Le samedi, c’est la préparation des concours, le lendemain, c’est le retour des pigeons. Le reste de la semaine est consacré à l’élevage, les expositions, la préparation des oiseaux »
Passion familiale
C’est au contact de son grand-père Louis Bourgois, électricien aux Mines, lui-même colombophile, qu’est née, enfant, une passion pour les concours dont il ne s’est pas départi. Lorsque son aïeul décide de passer la main, il lui fait don d’un constateur, une horloge enregistreuse destinée à déterminer l’heure d’arrivée des pigeons lors des concours. Nous sommes à la fin des années 1980. « Je me suis mis à faire des recherches sur d’autres types d’appareil. J’ai commencé à en collectionner. J’ai créé un site internet [1] et mis une pièce rare en ligne. Des contacts ont alors été établis avec des collectionneurs de partout », souligne ce sociétaire du club L’Hirondelle de Labeuvrière. Il possède aujourd’hui 700 constateurs ! Au fil des ans, sa collection s’est enrichie d’autres objets (montres mères, bagueuses, diplômes, médailles, revues, affiches, cartes postales, etc.). Elle a aussi intégré le Réseau des musées et collections techniques (REMUT). Philippe Crespin serait à la tête « de l’une des dix plus importantes collections au monde ».
Le sens du partage
Une partie est exposée au musée municipal d’Auchel. Désireux de partager sa passion, il cherchait « une commune minière qui mettait en valeur son patrimoine. C’est le cas d’Auchel qui possède un musée de la mine et dont le maire Philibert Berrier est d’ailleurs historien amateur. Il existe encore ici deux sociétés colombophiles, ça a aussi joué », indique-t-il. Le hall d’entrée du musée municipal a maintenant des allures de siège colombophile. « Souvent, les sociétés établissaient leur siège dans un café. Ça faisait tourner le commerce. On y enlogeait les pigeons, réglait les appareils et préparait les feuilles de jeu », note Philippe Crespin qui y a disposé une série de paniers de voyages, une table d’époque et un jeu de fléchettes. Histoire de reconstituer l’ambiance des lieux. Parmi les autres joyaux : des affiches anciennes ou encore une bague en caoutchouc qu’il s’agissait « de ramener au siège pour faire constater le retour du pigeon ». D’aucuns « l’ignorent, mais lors des compétitions, le pigeon ne fait pas d’aller-retour. On l’emmène loin de son domicile (de 250 à 1 000 km) et il revient par ses propres moyens. Il a un sens de l’orientation exceptionnel. Il peut parcourir plus de mille kilomètres en une journée avec des pointes à 100 km/h. C’est le seul animal capable d’une telle prouesse », explique un homme passionné par l’histoire de sa discipline.
De la naissance de la colombophilie militaire
L’exposition fait aussi la part belle au siège de Paris consécutif à la guerre franco-prussienne de 1870. Cet évènement lance « la colombophilie militaire. La pratique se mondialise alors. Les pigeons quittaient Paris en montgolfière et y revenaient chargés d’informations. Ils étaient pourtant peu entrainés. On était en plein hiver. C’était loin. Il était exceptionnel de voir des pigeons rentrés à Paris, d’autant que les ballons n’étaient pas dirigeables et pouvaient s’échouer n’importe où. La colombophilie militaire connaîtra son apogée lors de la Première Guerre mondiale. Ce mode de communication tombera ensuite en désuétude ». Un document listant les colombophiles qui ont fourni le gouvernement en pigeons compte parmi ses « pièces rares préférées. Sans eux, Paris n’aurait pas tenu ». Installé dans la cour, un colombier militaire français de 1935 est aussi un motif de fierté. Tout comme ce constateur artisanal importé d’Australie !
Vers un espace culturel dédié ?
Depuis l’ouverture de l’exposition au public l’hiver dernier, « celui-ci est surtout composé de néophytes, de curieux intéressés par le patrimoine régional ou qui en ont entendu parlé par leurs aïeux. Aucun colombophile n’a toutefois encore franchi la porte. Ils semblent plus intéressés par la compétition que par l’histoire de leur discipline », semble regretter Philippe Crespin qui accueille aussi des scolaires « à partir du CE1 ». À terme, son projet serait de créer un « espace culturel dédié à la colombophilie ». Histoire « d’y amener de la vie via des conférences ou des démonstrations d’élevage. On pourrait y installer un pigeonnier, y évoquer la science de la course mais aussi la vie des colombophiles à travers des films », imagine Philippe Crespin. L’idée est lancée. Aux collectivités locales de s’en emparer dorénavant. « J’ai fait ma part de boulot », estime ce quinquagénaire souriant et loquace toujours « en quête de la pièce rare ».