Redressement judiciaire

Tout le monde se lève pour Camaïeu ?

par Philippe Allienne
Publié le 19 juin 2020 à 15:57

En redressement judiciaire depuis le 26 mai, l’entreprise de prêt-à-porter féminin est en recherche de repreneurs. Ce samedi 13 juin, la CCT, accompagnée des communistes du Nord, a mené une opération de sensibilisation devant le magasin lillois de la rue de Béthune.

« Je travaille à l’entrepôt de Roubaix. L’ambiance était très bonne jusqu’à ce que nous apprenions la nouvelle. Pour l’instant, nous ne voyons pas arriver de repreneur. Comme mes collègues, j’ai peur de perdre mon emploi. Je suis très inquiète.Mon mari est au chômage et nous avons des crédits à rembourser. »Comme cette employée, les 3 900 salariés qui travaillent dans les 600 enseignes Camaïeu en France ont peur. Ils sont près de 500 à Roubaix. Le redressement judiciaire, prononcé par le tribunal de commerce de Lille, est assorti d’une période d’observation de six mois. Mais les repreneurs potentiels ont jusqu’au 29 juin pour déposer leurs offres. C’est court.Pour cette raison, la CGT lance un appel.« Construisons l’avenir de l’entreprise ensemble ! » propose Thierry Siwik, le délégué syndical CGT de Camaïeu.Et face à la clientèle et à la presse, il se fait l’avocat de la « marque préférée des Françaises ».

« Nous tenons à vous remercier de votre fidélité », dit-il aux clientes venues faire leurs courses en ce début de déconfinement. Il rappelle que 37 millions de clientes par an font confiance à Camaïeu, tant en France qu’à l’international. « Grâce à vous et à l’implication des salariés, nous sommes leader du prêt-à-porter féminin depuis plusieurs années. Notre entreprise connaît des difficultés financières et économiques depuis plusieurs années, nous ne sommes en aucun cas responsables de cette situation. Nous nous sommes adaptés aux différentes stratégies et choix des directions et actionnaires qui se sont succédés. Nous avons toujours eu à cœur de vous servir au mieux. »Camaïeu, c’est aussi 70 millions de pièces préparées et vendues chaque année. « L’entrepôt et les services centraux sont parmi les plus performants. » La foi chevillée au corps, Thierry Siwik confie avoir participé il y a cinq ans, avec un ancien dirigeant et des salariés, à un projet, pour apporter une nouvelle offre sur le marché. Le nom de ce projet : « Conquérir le cœur des Françaises » ! C’est dire s’il y croit.

« Nous sommes capables de créer six collections par an. Nous avons besoin de votre soutien », lance-t-il aux clientes qui s’arrêtent peu devant la harangue.Que s’est-il passé alors, pour cette entreprise créée en 1984 et qui a été désigné- trois fois de suite, « enseigne préférée des Françaises » ? Le confinement, qui a obligé à fermer les magasins durant deux mois, a certes porté un coup d’assommoir. Mais les ennuis de Camaïeu ne datent pas du début de la crise sanitaire. « Comment l’entreprise a-t-elle perdu 146 millions d’euros en deux mois ? » s’interroge le député du Nord et secrétaire national du PCF Fabien Roussel. Lors de l’audience du tribunal qui a conduit à prononcer le redressement judiciaire, à la demande de la direction, il a été fait état d’une mauvaise gestion dont auraient résulté des pertes financières et un endettement trop profond. Mais l’environnement économique du textile n’est pas joyeux depuis longtemps. Et tout géant qu’il est, Camaïeu est particulièrement fragilisé.

Le prêt garanti par l’État (PGE), sollicité par Camaïeu, a été refusé. Présent lors du rassemblement du 13 juin, Fabien Roussel a insisté sur la nécessité de cette aide d’État. « Camaïeu est endettée et doit rembourser des prêts à un taux quasi usurier (12 %) alors que l’on prête aujourd’hui à des taux négatifs.Ce PGE est indispensable » a redit l’élu communiste.La CGT n’est pas la seule a lancer un appel aux repreneurs. Dès fin mai, Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, avait assuré sur Radio Classique, que le gouvernement cherchait un repreneur et ferait tout pour que le personnel« ne se retrouve pas sur le carreau ». Un peu plus tard, le président de la Région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, abondait dans le même sens : « S’il y a un projet de reprise, la Région sera prête à accompagner avec l’État. ». Des vœux et promesses que les salariés ne voudraient pas voir contrariés par un plan social de grande ampleur.

Une aventure nordiste de 36 ans

Quatre hommes sont à l’origine de Camaïeu, à Roubaix : Jean- Pierre Torck, Éric Vandendriessche, Jean Duforest et Dominique Debruyne. Tous les quatre sont originaires de la galaxie Mulliez. L’entreprise s’est constituée en se positionnant sur le vêtement bon marché et sur le circuit court en ajustant l’approvisionnement des rayons de ses magasins en fonction de la demande.Sept ans après sa création, en 1984, elle crée Camaïeu Hommes (en 1991) puis Camaïeu Enfants en 1992. En 1996, changement de stratégie.Camaïeu Hommes est cédée au groupe Mulliez et passe sous l’enseigne « Jules ». Camaïeu Enfants est reprise par Jean Duforest quien 2000, la rebaptise Okaïdi. Depuis 24 ans, Camaïeu est donc recentrée sur les boutiques de vêtements et accessoires destinés aux femmes de 20 à 40 ans principalement.À partir de 2000, le réseau Camaïeu s’étend à l’international.Il ouvre des bou- tiques en Europe, passe des accords avec des partenaires en Russie et au Moyen- Orient et ouvre huit magasins en Hongrie en 2011. En 2015, l’enseigne est présente dans 15 pays à travers 900 boutiques (dont 650 en France). Elle s’ouvre ensuite au marché africain (Cameroun, Gabon, Sénégal, Tunisie).

Sur le plan financier, Camaïeu est cédée au fonds d’investissement Cinven pour 1,47 milliard d’euros. Mais l’entreprise estendettée à hauteur d’un milliard d’euros. Cinven demande la restructuration de cette dette et en obtient son report en 2018 avec l’intervention de deux autres fonds : Polygon et Boussard & Gavaudan. La restructuration de la dette est finalement accordée et Camaïeu souhaite alors augmenter sa capacité d’investissement de 10 millions d’euros par an. En 2018, elle est la première chaîne française en matière d’habillement féminin.En octobre 2018, elle appartient à la holding financière Modacin qui est mise sous sauvegarde par le tribunal de commerce de Lille.Sa dette s’élève alors à 459 millions d’euros.

La procédure de sauvegarde sera annulée en février 2019. Début mars 2020, Camaïeu projette la fermeture de 135 magasins à l’étranger. La marque veut se concentrer sur ses points forts. En 2018, elle a réalisé un chiffre d’affaires de 700 millions d’euros, dont 85 % en France.Mais le 26 mai 2020, elle est placée en redressement judiciaire avec période d’observation de six mois. En raison de la crise sanitaire, elle a fermé 800 magasins à travers le monde. Entre mars et avril, 95 % de son chiffre d’affaires a fondu, soit un manque à gagner de 162 millions d’euros.