Pollution

CRIT’AIR M’A TUER

Émissions de particules

par FRANCK MARSAL
Publié le 27 décembre 2019 à 11:48

Le réchauffement climatique et la pollution de l’air se combinent et provoquent des vagues de chaleur et de pollution meurtrières dans nos villes. Lille est particulièrement touchée. En 2018, la ville a compté plus de 60 jours de pic de pollution aux particules fines, alors que l’Organisation Mondiale de la Santé recommande de ne pas dépasser 3 jours par an. Face à cet enjeu majeur, les restrictions de circulation en fonction de la vignette « crit’air » constituent cependant une fausse solution.

Les pollutions sont de natures diverses : particules fines, oxydes d’azote, oxydes de soufre, benzène. Sans oublier les émissions de CO2, qui n’est pas toxique en soi, mais dont l’accumulation dans l’atmosphère est la principale cause du réchauffement climatique, ainsi que la pollution à l’ozone dite secondaire. Cette dernière est issue de la transformation des émissions d’oxyde d’azote des véhicules en ozone, sous l’effet du rayonnement solaire, et provoque de nombreux effets délétères sur la santé et le rendement agricole. Globalement, la pollution de l’air est responsable de 48 000 décès prématurés évitables en France dont 1 700 sur la Métropole Européenne de Lille. C’est pourquoi il est important d’agir.

La vignette crit’air, une fausse solution

Cependant, la proposition actuellement mise en avant par la MEL, celle d’exclure les voitures plus anciennes par le biais de la vignette « crit’air », est une fausse solution. Une délibération visant à exclure les véhicules de niveau 4, 5 ou non classés (soit les véhicules immatriculés avant le 31 décembre 2005) d’une partie de la métropole a été votée le 28 juin 2019. Elle prévoit la création d’une « zone à faible émission » (ZFE) sur les communes de Lille, Hellemmes, Lomme, Sequedin, Haubourdin, Loos, Faches-Thumesnil, Ronchin, La Madeleine, Saint-André-lez- Lille, Marquette-lez-Lille, Marcq-en-Baroeul et Lambersart. Ainsi, ce ne sont pas moins de 117 000 véhicules qui seront désormais interdits.

Mais cette mesure est à la fois mensongère, injuste, peu fiable, et hypocrite. Mensongère d’abord car elle frappe les véhicules en fonction de leur âge, indépendamment de leur niveau réel de pollution, alors qu’une petite voiture immatriculée en 2005 pollue moins qu’un SUV immatriculé en 2006, qui, lui, resterait autorisé. Injuste ensuite parce qu’elle pénalise avant tout les classes populaires, contraintes d’habiter loin des centres urbains et possédant des véhicules d’occasion. Cette mesure contribue donc à accentuer une forme de ségrégation sociale dans l’accès à la ville, l’emploi et la formation. Pas fiable non plus puisque les scandales récents et les études scientifiques in situ ont montré que les constructeurs n’arrivaient pas à respecter les normes anti-pollution, même pour les véhicules neufs. Pour finir, cette mesure est hypocrite car il n’existe aucune garantie que les véhicules polluants soient effectivement détruits. Au contraire, les vieux diesels polluants français sont massivement exportés vers l’Espagne, le Portugal, la Pologne, la Roumanie, la Bulgarie, ou l’Ukraine, contribuant simplement à exporter la pollution vers des pays plus pauvres, plutôt qu’à la réduire réellement.

Digne héritière de la « prime à la casse  », ou des primes accordées par les gouvernements Balladur en 1993-1994 et Juppé en 1995-1996, cette mesure vise en réalité à soutenir la vente d’automobiles. Ainsi, la multiplication des interdictions de circuler via le dispositif crit’air et les ZFE constitue le pendant punitif des « primes à la conversion ». Et ça fonctionne ! Les demandes ont explosé en 2019, forçant le gouvernement à revoir les critères d’attribution à la baisse. Or, par ces mesures incitatives, le gouvernement et les municipalités qui s’engagent dans cette voie contribuent à perpétuer un mode de transport urbain coûteux, dépassé et polluant, contribuant fortement au réchauffement climatique.

Deux victimes : le pouvoir d’achat et le climat

En effet, les mesures d’incitation de la prime à la conversion visent principalement les ménages non imposables et les classes populaires, qui ne peuvent s’acheter une automobile sans s’endetter ou avoir recours à la « location », un procédé particulièrement discutable. Et ce n’est pas un choix. L’absence d’automobile signifierait, pour beaucoup de familles, 2 à 4 heures par jour de trajet, dans des bus et trains bondés, souvent en retard, avec des correspondances mal assurées, des horaires souvent inadaptés aux horaires de travail et souvent situés dans des lieux peu ou mal desservis... La deuxième victime, c’est évidemment le climat. Avec 400 000 nouveaux véhicules par an permis par les mesures incitatives des pouvoirs publics, ce sont, chaque année, près de 10 millions de tonnes de CO2 dont l’injection est inéluctablement encouragée... Entraînant par ailleurs une saturation automobile et ses conséquences que représentent la pollution, les embouteillages, les accidents ou les difficultés de stationnement. En soutenant artificiellement l’achat d’automobiles et le renouvellement du parc automobile, plutôt que le développement de solutions alternatives, en particulier autour des transports collectifs, les autorités ne font que perpétuer les problèmes qu’elles prétendent résoudre.

Quelles alternatives ?

Il existe pourtant des alternatives équitables, égalitaires, permettant de réduire réellement la pollution automobile sans pénaliser les conditions de vie des classes populaires et moyennes.

La première serait de développer et rendre plus accessibles les transports en commun, alternative à la fois économique et peu polluante à la voiture individuelle en zone urbaine. Si le développement de l’offre nécessite des investissements longs, des mesures peuvent cependant être prises dès maintenant. La gratuité totale et immédiate nécessite quelques années de préparation. C’est donc une mesure qui ne peut être mise en œuvre qu’à moyen terme. En revanche, il est possible quasi-immédiatement de faire deux choses : instaurer la gratuité le week-end et les jours de pics de pollution, et réduire le prix des transports pour les familles (gratuité pour les enfants et adolescents, tarifs spéciaux pour les familles ainsi qu’une baisse globale des tarifs).

La seconde alternative serait la réduction de la vitesse, car elle a un impact très favorable sur l’émission de polluant. Le moteur étant moins sollicité, il consomme moins et pollue moins. La limitation à 30 km/h en ville est une bonne mesure, qu’il faut accompagner par des aménagements urbains qui induisent un respect spontané des limitations par les automobilistes. Il reste des sections importantes de voies rapides sur lesquelles la vitesse pourrait être réduite de 90 à 70 km/h.

Troisième possibilité, il faudrait contribuer à réduire la circulation automobile en réaménageant l’espace public. D’abord en développant les pistes cyclables et les contresens cyclistes, mais aussi en instaurant des piétonnisations de week-end, y compris dans des quartiers populaires et pas seulement dans des quartiers commerçants.

Enfin, il faudrait développer une politique spécifique et renforcée d’accompagnement des professionnels. D’abord en incitant au transfert des poids lourds vers le fret ferroviaire (et non l’inverse), mais aussi en incitant les professionnels qui circulent dans la métropole plusieurs heures par jour (taxis, livreurs, interventions à domicile...) à s’équiper de véhicules non polluants en priorité. Pour lutter contre la pollution atmosphérique, il s’avère bien plus efficace de cibler les véhicules qui roulent de manière intense, plutôt que de mettre en difficulté des familles populaires qui utilisent leur véhicule de manière intermittente, sans autre alternative.

LA POLLUTION DE L’AIR EN CHIFFRES

60

Nombre de jours de pic de pollution aux particules fines à Lille en 2018

1 700

Nombre de décès prématurés causés par la pollution de l’air dans la Métropole européenne de Lille en 2016

ENTRE 4 000 ET 10 000

La concentration moyenne par cm3 des particules utltrafines dans la région Hauts-de-France