Saint-Pol-sur-Ternoise

Des magasins à vocation sociale et écologique

par Justine Frémy
Publié le 7 décembre 2020 à 15:39

Elle doit être l’une des premières ressourceries créées en France et sans doute l’une des associations pionnières de l’ESS. Plongée au cœur de la ressourcerie ATRE, où l’on répare aussi bien les objets que les parcours de vie brisés.

Artois Ternois récupération emploi (ATRE) aurait dû fêter ses trente ans cet automne mais l’épidémie de Covid-19 en a décidé autrement. Créée en octobre 1990, cette ressourcerie installée à Saint-Pol-sur-Ternoise fait figure de pionnière en matière d’insertion et de recyclage. Elle devait servir au départ à accompagner les jeunes en recherche d’emploi pendant l’hiver 1990 en récupérant et en réparant les encombrants qui étaient jetés. Faire d’une pierre deux coups en répondant à la fois à un besoin social et un enjeu environnemental. Si cet objectif initial n’a pas changé, l’association a cependant bien grandi puisqu’elle accueille aujourd’hui une soixantaine de personnes en insertion (une centaine en tout sur un an) pour une durée variable de quatre mois à deux ans, et compte dix employés. Selon Yoann Caquière, directeur d’ATRE, « il n’y a pas de profil type parmi les personnes accompagnées, ce sont des bénéficiaires des minima sociaux (principalement RSA ou ASS), des chômeurs de longue durée, des jeunes de moins de 25 ans ou au contraire des personnes de plus de 55 ans qu’on accompagne jusqu’à la retraite, des mères célibataires, des personnes handicapées, des gens qui ont eu un accident de vie ou qui ont simplement du mal à s’insérer sur le marché de l’emploi. Il y a autant de profils que de personnes ». L’association se charge à la fois de la collecte, de la préparation au recyclage, de la réparation/transformation des déchets encore utilisables et de leur revente dans trois magasins (deux à Saint-Pol-sur-Ternoise et un à Frévent).

500 tonnes de déchets récupérés chaque année

Sur le volet environnemental, ATRE se charge à la fois de la collecte auprès des particuliers, des déchetteries ou des professionnels. « Les gens peuvent nous apporter directement leurs déchets mais nous allons aussi chez eux, on collecte par exemple les déchets verts chez les personnes âgées qui ne peuvent pas se déplacer » explique Yoann Caquière. Les « déchets » (qui n’en sont pas toujours) sont alors soit préparés au recyclage (c’est-à-dire triés puis valorisés), soit réparés et remis en état, soit transformés, soit enfouis lorsqu’ils sont trop endommagés. « Nous sommes de véritables professionnels du déchet qui cherchons à limiter au maximum les déchets à enfouir » poursuit Yoann Caquière. Ainsi, sur les 500 tonnes d’objets récupérés en 2019, seuls 4 à 5 % d’entre eux ont été enfouis car ils n’étaient pas récupérables. « C’est souvent du plastique... La ferraille, le textile, le bois, tout ça peut être recyclé ou réutilisé mais le plastique c’est bien plus difficile » détaille le directeur. 40 % des objets sont ainsi réemployés, soit tels quels, soit après réparation dans les ateliers d’ATRE où travaillent environ 20 personnes en insertion (menuiserie, mécanique, électronique, etc.). Un peu plus de la moitié des déchets sont eux triés puis recyclés via des filières de gestion des déchets créées dans le cadre de la REP (Responsabilité élargie du producteur). « Ainsi les livres abîmés ou moisis sont recyclés pour refaire du papier, les vêtements élimés sont retissés et la vaisselle endommagée est transformée en poudre pour être utilisée dans le bâtiment » précise Yoann Caquière. Les objets réutilisables ou réparés peuvent eux être achetés dans les trois magasins de la ressourcerie, également tenus par des personnes en insertion.

Des milliers d’objets retrouvent une seconde vie dans les magasins d’ATRE.
© ATRE Ressourcerie

« Tout le monde peut donner ou acheter, il n’y a pas de critère social. Depuis quelques années, on remarque que la clientèle a évolué. Avant c’était assez confidentiel, c’était plutôt pour les brocanteurs ou pour les gens qui avaient besoin de meubles à bas prix. Maintenant on voit beaucoup de gens qui sont dans une démarche alternative, écologique, solidaire, et même certains qui viennent simplement parce qu’ils aiment l’ambiance ! » Si le public s’est rajeuni, la ressourcerie peine encore à attirer les jeunes de 18 à 25 ans car « le premier achat c’est encore une fierté pour eux. Il n’y a pas longtemps, une jeune fille me confiait que pour elle c’était “la classe” d’acheter ses meubles chez Ikea. Pour les jeunes, c’est une forme de réussite sociale » raconte le directeur d’ATRE. Plusieurs milliers d’objets retrouvent ainsi une deuxième vie chaque année grâce à la ressourcerie. « Alors qu’on est sur un bassin de vie de 35 000 personnes, imaginez à l’échelle d’une métropole comme Lille ! » Mais l’impact environnemental et social d’une telle structure reste très difficile à quantifier et à appréhender. ATRE réalise aussi 200 actions de sensibilisation par an, principalement dans les écoles mais aussi dans les Ehpad ou auprès de publics sensibles, là encore animées par des personnes en insertion. « On peut travailler sur le long cours à la construction d’une mare et à son observation pendant un an, ou bien construire des mini panneaux solaires ou des éoliennes à partir d’objets récupérés. Parfois ce sont simplement des balades en forêt pour suivre la trace des animaux. Dans les Ehpad, on anime des ateliers de “Récup’Art” par exemple. On ne propose pas un simple powerpoint, on essaie de faire des activités interactives et ludiques. »

Redonner confiance en soi et en l’autre

Parmi la centaine de personnes accueillies en insertion chaque année, environ 45 % retrouvent un travail ou une formation qualifiante par la suite. « Mais c’est une vision parcellaire. Dans les 55 % restants, certains vont réussir à régler leurs dettes, trouver un logement, retrouver la garde de leurs enfants, passer le permis, ou simplement reprendre confiance en soi, en l’autre, en la société. Ce sont des bénéfices qui ne sont pas quantifiables. » Certains ont même parfois du mal à quitter la structure qui représente une sorte de « cocon » pour eux. « C’est souvent très touchant, mais ils doivent retrouver un emploi par la suite. Nous sommes seulement un tremplin » rappelle Yoann Caquière. Le confinement du printemps a paradoxalement réduit le nombre de dossiers de candidatures pour rejoindre la structure, mais le directeur a noté une forte augmentation de la part de jeunes, notamment avec la réduction des postes disponibles en intérim’. Si la période du premier confinement a été plus difficile, les magasins d’ATRE ont néanmoins pu rester ouverts pendant ce deuxième confinement car la structure a été désignée « d’intérêt public ». Yoann Caquière espère maintenant que les travaux du nouveau site récemment acquis à Saint-Pol-sur-Ternoise vont pouvoir bientôt commencer afin de développer encore un peu plus les activités d’une association décidément bien essentielle. « On espère pouvoir déménager la ressourcerie au printemps 2021 et lancer un nouveau lieu pour accueillir les projets d’animation et l’ouvrir à d’autres acteurs dans le but de nourrir encore un peu plus notre projet d’insertion » conclut le directeur d’ATRE.

Infos et horaires : atre62.fr ou sur Facebook @ RessourcerieATRE.