Votre concept est assez original, d’où est venue cette idée de louer des couches ? Quand on s’est rencontré avec Simon, on voulait tous les deux avoir un impact fort sur l’environnement et la réduction des déchets. Et quand on s’y intéresse un peu, on se rend compte qu’en deux ans et demi, un enfant produit une tonne de déchets rien qu’avec ses couches. Si l’on compare ça aux cotons-tiges ou aux touillettes à café, c’est très important.
Concrètement, comment fonctionne votre service ? Pour l’instant, on propose un service de location de couches lavables, sous forme de kit, entre cinq et vingt couches selon les besoins. On définit ça au départ avec les parents. Cela dépend surtout de l’âge de l’enfant, mais en moyenne, une dizaine de changes suffisent pour deux à trois jours d’utilisation. Puis on leur envoie le lot de couches, les absorbants, un sac de stockage ainsi que les voiles pour enlever les selles. On développe aussi un accompagnement pour leur expliquer le fonctionnement et les aider à faire les réglages au départ.
De quoi est composée une couche lavable ? Elle se compose de plusieurs parties : un absorbant qui absorbe les liquides et les selles et une partie imperméable. Quand arrive la diversification alimentaire, on conseille de placer un voile en plus de l’absorbant, c’est plus facile d’enlever les selles grâce à cela. Il faut bien comprendre qu’il n’y a jamais de « caca » directement dans la machine à laver, on doit toujours enlever les selles avant le lavage. On tente de lever les a priori comme celui-ci.
Pourquoi les couches lavables sont-elles si peu utilisées pour l’instant ? Souvent les gens ont des freins car ils ne connaissent pas, ils pensent que c’est compliqué. On s’en fait tout un plat même s’il y a maintenant beaucoup de sites pour expliquer comment faire. Il y a aussi beaucoup de marques, c’est parfois difficile de s’y retrouver. C’est pour ça qu’on a souhaité mettre en place cet accompagnement. Notre objectif principal, c’est avant tout de démocratiser les couches lavables.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les parents ? On a identifié deux difficultés principales. La première, c’est le non alignement dans le couple. Si l’un des deux parents est réfractaire car il pense que ça va prendre plus de temps, il y en a souvent un seul qui se retrouve à gérer le change en intégralité. La seconde ce sont les a priori, l’idée qu’on va avoir « les mains dedans ». En fait, ils se rendent vite compte que ce n’est ni pire ni mieux que le jetable, simplement différent. Beaucoup sont emballés, voire enthousiastes, une fois mise en place la routine de change.
En quoi la couche lavable est-elle plus écologique que sa version jetable ? Une couche lavable utilise beaucoup moins d’eau qu’une couche jetable, et cela malgré les lavages réguliers en machine. En moyenne, chaque couche jetable nécessite 2,4 litres d’eau en plus qu’une couche lavable, c’est considérable. On a aussi choisi de privilégier deux matières très absorbantes : le bambou et la microfibre, qui présentent un meilleur bilan écologique que le coton, très consommateur d’eau lors de sa fabrication.
Et en termes de santé ? Depuis quelques années, il y a eu de grandes améliorations sur la composition des couches jetables, après les scandales qui ont révélé la présence de glyphosate et autres produits nocifs. Donc je ne vais pas leur jeter la pierre, dans ce domaine, c’est très positif. C’est surtout le gel absorbant présent dans les couches jetables qui pose problème, cela reste un produit chimique qui peut donc être allergène et irritant pour la peau d’un bébé. Les couches lavables donnent une sensation plus forte d’humidité car il n’y a pas ce gel, ce qui favorise l’apprentissage de la continence. On a remarqué que les enfants allaient bien plus vite et plus naturellement au pot qu’avec des couches jetables.
Pourquoi avoir choisi la location plutôt que la vente ? D’abord, c’était une bonne excuse pour proposer un accompagnement des parents, on les aide à prendre de nouvelles habitudes. On veut surtout faire en sorte que ça réussisse, avoir un impact réel et que cela dure. Ensuite, c’est parce qu’on essaie d’appliquer les principes de l’économie de la fonctionnalité [1] : utiliser le produit plutôt que l’acheter. Cela permet de maximiser l’utilisation et de réduire le nombre de produits fabriqués. Quand ils le souhaitent, on propose aussi aux parents d’acquérir le lot de couches qu’ils avaient loué au départ. Dans ce cas, ils le gardent au lieu de nous le rendre à la fin de la période de location.
Au niveau du prix, est-ce à la portée de tout le monde ? En réalité, les couches jetables sont plus chères sur la durée que les couches lavables. On estime que sur une période de 2,5 ans, les couches jetables coûteront en moyenne 1 500 euros (cela va de 1 200 euros pour des couches à bas prix à 2 200 euros pour des couches bio) contre 700 à 800 euros pour des couches lavables. C’est donc plus intéressant, mais c’est difficile de s’en rendre compte à l’achat car cela représente un gros investissement. C’est pour cela aussi qu’on a décidé de partir sur de la location, ça permet de lisser les dépenses, entre 20 et 50 euros par mois. On réfléchit actuellement à un tarif social également et on travaille avec une association de mamans en situation de grande précarité pour voir ce que l’on pourrait faire avec elles. Mais c’est vrai que pour l’instant, on est surtout contacté par des personnes citadines, sensibilisées à l’écologie et CSP+. Or, pour nous, ce n’est pas logique.
Vous souhaitez aussi développer un service de lavage ? Oui on a eu des demandes de parents ou de professionnels qui sont en attente de ce service. On est en discussion avec l’Abej Solidarité qui souhaite développer une blanchisserie. On les a rencontrés pour essayer de voir comment travailler ensemble sur la métropole lilloise dans un premier temps. L’idée c’est que deux ou trois fois par semaine, on passe faire le ramassage des couches pour qu’elles soient lavées et subissent un contrôle microbiologique pour ensuite les rendre aux parents.
Est-ce que vous avez d’autres partenariats en cours ? On travaille déjà avec une crèche à Mouvaux et on réalise aussi des ateliers de sensibilisa- tion pour différentes structures. On va peut-être travailler avec la maternité de Roubaix pour lui proposer un accompagnement et des ateliers pour expliquer ce qu’est la couche lavable. C’est un peu le cœur de notre mission, en tant qu’entreprise de l’ESS : démocratiser la couche lavable.
Kokpit est donc une entreprise de l’ESS ? Oui, nous avons fait une demande d’agrément ESUS (Entreprise solidaire d’utilité sociale). Mais dans nos statuts eux-mêmes nous avons déjà inscrit un certain nombre d’engagements tels que le fait de ne pas avoir de but lucratif, de reverser au moins 50 % des bénéfices dans l’entreprise, de plafonner les salaires, de sensibiliser le personnel aux enjeux sociaux et environnementaux, etc. Pour notre financement aussi on a souhaité rester cohérent et faire appel seulement à des banques solidaires telles que la NEF et Nord Actif. On est aussi membres des Cigales (Clubs d’investisseurs pour une gestion alternative et locale de l’épargne solidaire) qui nous ont beaucoup accompagnés.
Quels sont vos projets pour l’année prochaine ? Nous avons de nouveaux modèles de couches qui vont arriver bientôt, notamment pour la nuit (sélectionnés sur une vingtaine de modèles testés), nous espérons mettre en place le service de lavage pour le premier semestre et arriver à 150 parents accompagnés d’ici la fin de l’année prochaine pour être à l’équilibre. On sent que c’est possible mais on a encore beaucoup de travail devant nous !