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Quand devrons-nous rationner l’eau dans les Hauts-de-France ?

par Virginie Menvielle
Publié le 7 avril 2023 à 15:52 Mise à jour le 11 avril 2023

Jusqu’à très récemment, les Français ne s’imaginaient pas manquer d’eau, un jour. Les températures et la sécheresse de l’été 2022 nous ont fait prendre conscience du fait que notre réserve d’eau n’était pas inépuisable. Cette réalité s’accompagne des premiers conflits autour de l’eau. L’exemple très récent de Sainte-Soline ne fait que le prouver. Notre enquête.

« On est habitués à tourner le robinet et voir l’eau couler. On ne se pose pas plus de questions que cela », fait remarquer Isabelle Matykowski. C’est là tout le nœud du problème selon la directrice de l’Agence de l’eau du bassin Artois-Picardie. « Ça nous paraitrait scandaleux de ne plus voir l’eau couler à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. » Pourtant, la facilité d’accès à l’eau reste relativement récente. Ce n’est qu’à la fin des années 80 que toutes les communes ont été raccordées au réseau d’eau courante. Résultat, parce qu’il ne fallait plus aller chercher l’eau au puits, on a perdu l’habitude d’être économe en eau. « Ce n’est pas intuitif dans le Nord de la France de penser qu’on va manquer d’eau. Il y a encore quatre ou cinq ans, ce n’était pas un sujet sur notre bassin. L’été 2022 nous a fait découvrir que la ressource en eau n’était pas infinie », rappelle Isabelle Matykowski. Aussi, pour l’Agence de l’eau, il faut agir et vite. Le but : ne pas se retrouver dans des situations de conflits autour de l’eau comme cela s’est produit à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) où la manifestation non autorisée du 25 mars a dégénéré. Bilan : des dizaines de blessés et deux manifestants entre la vie et la mort. Une situation quasi inédite en France mais qui pourrait bien se reproduire.

Comment arrêter de gâcher l’eau ?

Les épisodes caniculaires vont être de plus en plus fréquents et l’état des nappes phréatiques particulièrement inquiétant. Dans l’Aisne, les indicateurs pour risques de sécheresse sont déjà dans le rouge, au 30 mars. Dans son plan eau (voir article ci-dessous), le président de la République fixe un cap de 10 % d’économies d’eau pour tous les secteurs (industrie, agriculture, collectivités, particuliers…) d’ici 2030. L’Agence de l’eau va plus loin et annonce 20 % d’économies à faire. Il va donc falloir arrêter de gâcher l’eau, ce qui veut dire ne pas remplir ses piscines particulières, arroser son jardin avec l’eau potable, laver sa voiture en pleine période de sécheresse… En clair, ce qu’on peut lire dans les arrêtés de prescription envoyés par la préfecture, mais pas seulement. « Nos véritables réserves d’eau sont sous nos pieds. 93 % de notre eau potable provient des eaux souterraines, il faut donc permettre à cette “bassine” de se recharger plus facilement », indique la directrice de l’Agence de l’eau. Cela passe par une autre agriculture moins consommatrice d’eau mais aussi moins polluante (la qualité de l’eau potable dans les Hauts-de-France étant particulièrement mauvaise, ndlr), un travail en ville sur la perméabilité des sols. Il faut clairement arrêter de tout bitumer et d’envoyer l’eau de pluie dans des tuyaux plutôt que dans nos sols. Enfin, on ne peut plus continuer à utiliser de l’eau potable pour alimenter des usines et rejeter de l’eau propre et de l’eau usée dans nos cours d’eau. Le chantier parait titanesque, mais il reste à notre portée. De très nombreuses collectivités, agriculteurs, industriels… se sont déjà emparés du sujet et travaillent autrement, c’est donc possible.

Que faut-il faire face à la crise de l’eau ? La parole à…

Isabelle Matykowski

Directrice de l’Agence de l’eau Artois-Picardie « L’adaptation au changement climatique est un chantier énorme. Ce n’est pas parce qu’il pleut que les nappes sont rechargées. L’année 2022 a amené une vraie prise de conscience politique sur le sujet. Mais se dire qu’on va manquer d’eau n’est pas naturel dans une région où personne n’est encore dos au mur. Il faut toutefois agir vite, expliquer comment fonctionne la ressource, quels sont les bons exemples qui peuvent donner envie d’agir. »

Loup Espargilière

Journaliste, fondateur du média Vert « Aujourd’hui, seuls six Français sur dix savent que le réchauffement climatique est lié aux humains. On doit donc améliorer la pédagogie et traiter ces sujets de manière transversale. » Concernant le plan eau du gouvernement : « Pour réduire notre consommation d’eau, Emmanuel Macron mise (encore) sur les petits gestes et la technologie plutôt que d’amorcer la transformation en profondeur de notre agriculture. » Il ajoute : « Alors que l’agriculture utilise la moitié de l’eau prélevée en France, et que certaines grandes cultures très gourmandes en eau (comme le maïs, en grande partie destiné au bétail), doivent être questionnées, il est dramatique que l’exécutif refuse toujours de prendre ce problème à bras-le-corps et fasse des “méga-bassines” une solution normale qu’il suffirait d’optimiser. »

Marine Tondelier

Conseillère régionale EELV Hauts-de-France La conseillère s’est exprimée sur France Info : « Emmanuel Macron s’attaque aux conséquences du problème sans s’attaquer aux causes, c’est-à-dire le changement climatique. » Elle poursuit : « Il y a un manque de parité et la diversité des âges de ceux qui parlent de l’eau. C’est un sujet qui concerne la jeunesse, la société civile qui a été très peu associée alors que l’eau est un bien commun. On voit bien les tensions que provoque ce sujet. Il faut vraiment que les Françaises et Français se saisissent de ce sujet. » Pour Marine Tondelier, il faut prendre conscience qu’« on ne cultivera plus les mêmes choses au même endroit et réfléchir à notre consommation de viande en se posant la question du coût et de la consommation de l’eau ». 

22 Seuls 22 cours d’eau du bassin Artois-Picardie sur 66 sont en bon état. C’est peu et cela s’explique par l’histoire de ce bassin. Il a connu la guerre, une très forte activité industrielle et donc des polluants souillant nos sols. L’agriculture y est assez intensive et en plus, il est très plat, les polluants ont donc tendance à stagner. Le but est d’arriver à 50 cours d’eau en bon état d’ici 2027.

4,59 C’est, en euros, le prix moyen du mètre cube (m3) de l’eau (potable et assainissement) dans le bassin Artois-Picardie. Une hausse de 1 centime a été enregistrée par rapport à 2021. Le prix moyen en France est de 4,3 €/m3. Il grimpe à 5,79 €/m3 à Saint-Malo (Bretagne), quand il n’est qu’à 2,28 €/m3 à Luri (en Corse). En dix ans, le prix de l’eau a augmenté de 10 %. À titre de comparaison, le prix de l’électricité en France a doublé en dix ans.

65 % C’est, en 2022, le taux des habitants des Hauts-de-France qui ont reçu au robinet, régulièrement ou épisodiquement, une eau non conforme aux critères de qualité en raison de la présence de molécules de produits phytosanitaires, selon l’Agence régionale de santé (ARS). L’ARS a retrouvé fin 2022, un taux supérieur de chloridazone (pesticide utilisé dans la culture des betteraves jusqu’en 2020) dans l’eau de 45 communes de la Région. 39 sont situées dans l’Aisne.

85 En mètres cube par an, c’est la consommation moyenne d’un foyer (deux adultes/deux enfants) du bassin Artois-Picardie sur un an. Les habitants de la région sont donc sur ce point de meilleurs élèves que le reste des Français. À l’échelle nationale, la moyenne monte à 120 m3/an pour un foyer.

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Hauts-de-France