Eaux usées

Quand l’État freine les avancées des chercheurs

par Virginie Menvielle
Publié le 26 mai 2023 à 17:44

La crise sanitaire mondiale liée au Covid a mis en lumière le manque flagrant de détection précoce des épidémies. L’une des solutions réside dans l’analyse de nos eaux usées, grâce au travail d’Obépine, un réseau de scientifique. Le gouvernement veut reprendre la main, mais a tout bloqué.

L’eau a de la mémoire. La preuve avec nos eaux usées qui sont de véritables manuels d’épidémiologie. En effet, le virus de la COVID-19 est présent dans les voies respiratoires mais aussi en quantité dans les selles, tant chez des personnes symptomatiques qu’asymptomatiques. Analyser nos eaux usées nous permet donc d’obtenir des informations extrêmement importantes sur sa propagation. Pourtant, jusqu’à la crise de la pandémie en 2020, personne en France n’avait conscience de l’importance, en termes de santé publique, d’analyser de manière régulière nos eaux usées. Mais ça, c’était avant. Avant qu’un consortium de chercheurs ne crée le réseau Obépine (Observatoire d’épidémiologie dans les eaux usées). Vincent Maréchal, son directeur et professeur de virologie à la Sorbonne explique : « On a commencé avec un groupe de sept chercheurs, issus de disciplines différentes. Le dispositif national a été soutenu au début par le soutien du ministère de la Recherche. On a fait des échantillonnages deux fois par semaine sur 200 stations d’épuration pour avoir des courbes assez précises, pendant deux ans. » Un dispositif totalement novateur en France et qui avait permis de faire notre pays un leader européen en la matière. Pourtant, tout s’est brutalement arrêté en avril 2022 en raison d’une transition difficile entre Obépine et le réseau proposé par l’État, qui a décidé de reprendre la gestion du système de surveillance en juin 2021 en créant Sum’eau. Ce nouvel outil a pour mission de faire de la surveillance de la propagation du Covid sur un temps long. Une bonne idée, mais qui malheureusement ne fonctionne pour le moment pas aussi bien qu’il le faudrait. Vincent Maréchal déplore un manque de coopération avec Obépine : « C’est flatteur que l’État ait repris notre idée mais c’est dommage de ne pas avoir créé de liens entre les deux structures et qu’il n’y ait aucune coordination entre les deux.  » Encore plus dommageable, Sum’eau n’a encore produit aucune donnée. Selon nos informations, les premières paraitront à l’été prochain, soit deux ans après le lancement du système.

Été 2023 C’est la date de mise en service officielle de Sum’eau, soit plus d’un an après son lancement. 5 000 fois moins cher Les tests effectués dans les eaux usées coûtent 5 000 fois moins cher que ceux pratiqués sur des personnes individuelles. Vingtaine C’est le nombre de membres de l’équipe Obépine aujourd’hui. Ils étaient une demi-douzaine à son démarrage, à l’été 2020.

Un outil indispensable pour la surveillance des épidémies

Le réseau Obépine a-t-il alors été mis en sommeil forcé ? Pas du tout, le groupement d’intérêt scientifique (GIS) a décidé de réorienter ses projets de recherche et s’intéresse à la détection de futures maladies émergentes. Obépine travaille en priorité sur des territoires spécifiques, en particulier en outre-mer mais aussi à l’étranger où il y a peu ou pas de raccordements aux eaux usées. Le réseau travaille ainsi avec l’Institut Pasteur en Guyane, mais aussi en Nouvelle-Calédonie, en Tunisie et en Guinée. Ils recherchent dans les eaux usées les agents pathogènes : d’autres virus respiratoires (grippe, rougeole...) et des arboviroses (transmissions par des arthropodes, comme les moustiques), le meilleur exemple reste le virus de la Dengue. Le GIS analyse désormais en plus des pathogènes, la présence de molécules médicamenteuses. Une augmentation de médicaments (anti-inflammatoires, analgésiques..), si elle est en plus corrélée à la présence de virus, laisse supposer qu’une maladie infectieuse est train de se propager.

Obépine, un réseau précurseur pour un laboratoire européen

“Il y a un volet protection des futures maladies émergentes dans le cadre de France 2030. Cinq plateformes en France sont là pour aider à mieux préparer le projet. Obépine serait l’une des cinq plateformes, précise Vincent Maréchal (photo). C’est dans ce cadre que le réseau travaille avec la Guyane, la Nouvelle-Calédonie, la Tunisie et la Guinée. Et cela ne s’arrête pas là. Nous sommes en train de construire un laboratoire d’experts européens pour réaliser un suivi des eaux usées à plus grande échelle.”

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