Nouvelles technologies

Transition numérique : l’envers du décor

par Justine Frémy
Publié le 27 décembre 2019 à 11:53

Début 2019, le CERDD (Centre ressource du développement durable) publiait un rapport sur l’impact écologique du numérique intitulé « Numérique & développement durable : liaisons dangereuses ? ». Un état des lieux qui résume avec lucidité les enjeux liés à la transition numérique, particulièrement mise en avant dans le projet rev3 dans lequel la région s’est engagée depuis 2013.

« Si internet était un pays, il serait le sixième consommateur d’énergie et le septième émetteur de CO2 de la planète ! » Un constat sans appel dressé dans ce rapport qui souligne bien les ambivalences du numérique. À la fois source d’émancipation pour les citoyens qui ont plus facilement accès à l’information et de plus grandes possibilités d’entrer en connexion ou d’organiser des actions collectives, le numérique contribue dans le même temps à « accélérer la mondialisation de l’économie et de la finance », dont le symbole est celui des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Mais aussi à accroître la fracture numérique et l’isolement de certains publics. En effet, comme le rappelle le CERDD, « depuis le 1er janvier 2016, les services publics d’aide aux personnes sont intégralement en ligne (caf, sécurité sociale) ». De la même manière, si le numérique a permis le développement de plateformes collaboratives incitant à des modes de consommation et de mobilité plus vertueux (location, seconde main, troc, covoiturage...), il a aussi offert la possibilité à de grands « disrupteurs [1] » (tels que Netflix, Airbnb ou Uber) de s’imposer au détriment des autres acteurs économiques, « suscitant des craintes pour l’avenir du travail, la protection sociale et la fiscalité ». Enfin, si le numérique doit permettre de mieux analyser les phénomènes climatiques, la pollution ou de mieux gérer les flux d’énergie ou de transports, il suscite des inquiétudes quant à la protection des données personnelles et génère une pollution et une consommation d’énergie gigantesques.

Un ordinateur, 54 composants

Ainsi, le CERDD rappelle que le numérique a un impact écologique grandissant. La première raison réside dans le cycle de vie des appareils numériques, c’est-à-dire depuis leur production jusqu’à leur fin de vie. Un téléphone portable contient 54 composants différents, issus de métaux et terres rares, non renouvelables et extraits dans des conditions souvent inhumaines, sources de destruction des écosystèmes locaux. La main-d’œuvre quant à elle subit des conditions de travail parfois proches de l’esclavage, en particulier en Asie où le recours au travail des enfants demeure fréquent. Or, dans le même temps, l’obsolescence des objets numériques ne cesse de croître. On apprend ainsi qu’« entre 1985 et 2015, la durée d’utilisation d’un ordinateur a été divisée par trois, passant de 11 à 4 ans ». Or, le taux de recyclage effectif des déchets du numérique ne s’élève, lui, qu’à 30 %.

Une consommation énergétique croissante

Par ailleurs, l’infrastructure numérique en France représente aujourd’hui 13 % de la consommation nationale d’électricité tandis qu’internet constitue 7 % de la consommation électrique mondiale, un chiffre en hausse de 12 % par an, à cause de la multiplication des services offerts et de l’augmentation du nombre d’utilisateurs. De plus, le CERDD rappelle que « dans notre système actuel, le risque demeure que les gains d’efficience apportés par le numérique soient réinvestis dans toujours plus de consommation et de croissance matérielle ». En effet, en améliorant la productivité des entreprises, le numérique génère une baisse des prix qui s’accompagne par un renouvellement des gammes et donc une offre de biens plus grande, qui encourage à son tour à la consommation.

Un outil générateur de tensions sociales

Enfin, l’innovation numérique contribue également à modifier nos rapports sociaux. Il soulève ainsi de nombreux enjeux, corrélation directe de la démultiplication de son usage susceptible de générer des fractures au sein de la population. On citera ainsi, de manière non exhaustive, la dépendance grandissante aux outils numériques, l’obligation de maîtriser les objets et outils numériques, le risque de manipulation des citoyens (scandale Cambridge Analytica), mais aussi les enjeux d’aménagement du territoire (fracture numérique) ou les impacts sanitaires potentiels du numérique qui sont toujours en cours d’études. En résumé, « le numérique est à la fois bon et mauvais pour la transition écologique et sociale : deux faces d’une même médaille. Tout dépend de la manière dont il est conçu et utilisé ». Hormis les « petits gestes » individuels tels que vider sa boîte mail, limiter l’usage du cloud [2], réparer et recycler ses équipements, le CERDD rappelle que les solutions se trouvent aussi et avant tout entre les mains des entreprises du numérique, d’une part, mais aussi des pouvoirs publics locaux d’autre part. Ces derniers peuvent notamment s’engager dans une meilleure réglementation et un accompagnement de la transition numérique de façon à l’orienter vers une voie bénéfique à la fois pour l’environnement et la société.

Le rapport complet est à consulter sur : cerdd.org.

LE NUMÉRIQUE EN QUELQUES CHIFFRES

13 MILLIONS

Le nombre de Français en difficulté avec le numérique

1,5 TONNE

La quantité d’eau nécessaire à la fabrication d’un ordinateur à laquelle il faut ajouter 240 kg de combustibles fossiles et 22 kg de produits chimiques

32 KG

La quantité de matière première nécessaire à la fabrication d’une puce électronique de 2 grammes

192 MILLIARDS

Nombre d’e-mails envoyés en 2014, l’équivalent de l’empreinte environnementale de 3,1 millions d’automobilistes par an

7 TONNES

La quantité de CO2 émise par jour par les recherches sur Google

Notes :

[1Perturbateurs

[2Technologie permettant de délocaliser le stockage de données sur des serveurs lointains plutôt que sur l’ordinateur d’un utilisateur.