Comment ça vrac ?

Une épicerie ambulante et solidaire pour recréer du lien social

par Justine Frémy
Publié le 7 décembre 2020 à 17:14

« Je suis chaque fois impressionné de voir que ce que l’on avait imaginé fonctionne » s’étonne Karim, 41 ans, co-créateur de « Comment ça vrac ? », une épicerie ambulante de produits locaux et abordables au cœur de la métropole lilloise. Loin d’être une utopie, son idée un peu folle de recréer du lien social en redonnant vie à une version moderne du camion laitier se réalise tous les jours au coin des rues de la ville.

« Ding, ding, ding. » Aussitôt arrivé, Karim signale sa présence en faisant tinter sa cloche. « Surtout devant cet immeuble-là, je sais qu’on a des gens qui nous attendent » nous confie Karim, le sourire jusqu’aux oreilles. Ça ne rate pas, un monsieur intrigué s’approche déjà. « Ah vous avez des cookies, je vais en prendre pour ma femme ! » Les habitués se mêlent rapidement aux curieux et s’approchent du magasin portatif de 250 kg, posé au coin d’une rue à deux pas de la gare Lille-Flandres. C’est en se rappelant du camion laitier qui passait devant chez lui quand il était enfant à Bézieux que Karim a eu l’idée de « Comment ça vrac ? ». Avec son ami Kévin, charpentier, ils ont tout plaqué pour redonner un sens à leur vie et à leur travail. « J’avais envie de faire le trait d’union entre les producteurs locaux, les aliments sains et les habitants de Lille, et lui était plutôt un adepte du tout vélo, de l’alimentation saine et du vrac. » À eux deux, l’un graphiste, l’autre charpentier, ils designent un caisson unique, mobile, avec de multiples compartiments permettant de stocker et présenter fruits, légumes, produits secs, huile, miel, etc. « Et du pain ! C’est super important, c’est souvent la première chose que nous demandent les gens. » Quelques minutes plus tard, une jeune fille demande justement une baguette « sans graines s’il-te-plait ». « Ah ça y est, tu es devenue accro ? » plaisante Karim. « Oui, il est vraiment trop bon ! » répond la jeune fille en récupérant son pain, produit spécialement par une boulangerie du quartier d’Esquermes pour « Comment ça vrac ? ».

Comment ça vrac ? propose produits secs, fruits, légumes et pains, en majorité issus de producteurs locaux.
© Justine Frémy

Karim sert les clients un par un, prenant toujours le temps de la discussion, offrant une pomme par ci « tu vas redécouvrir le goût de la pomme », un conseil de cuisson par là « cette taille, c’est idéal pour en faire des frites » sans oublier de s’enquérir du travail ou des enfants. « On voulait aller devant chez les gens, dans un cadre qu’ils connaissent, avec leurs voisins… et parfois on a vraiment l’impression de faire partie de la famille, les enfants nous reconnaissent… On a aussi permis à des voisins de faire connaissance, c’est devenu leur rendez-vous ! » Car c’est avant tout le lien social qu’a cherché à recréer Karim à travers ce magasin sur roues. « L’avantage d’être à vélo, c’est que ça passe partout, on peut circuler facilement et stationner au plus près des gens, juste devant chez eux. Je pense par exemple à Chantal qui ne peut pas se déplacer et qu’on livre directement à sa fenêtre. »

Démocratiser l’accès à une alimentation de qualité

Côté organisation, il suffit de prendre rendez-vous directement sur le site internet. Chaque jour est dédié à un quartier de Lille et, depuis septembre, neuf villes périphériques. Ce vendredi, nous suivons Karim dans sa tournée dans les quartiers de Lille-centre, Wazemmes et Moulins. « La demande de passage est gratuite et sans condition, on demande simplement aux gens de prévenir leurs amis, leurs voisins… » Une jeune fille se réjouit justement en voyant arriver son ami : « Ah tu es venu finalement ! » « Oui, depuis le temps que tu m’en parlais, j’ai fini par y arriver ! » lui répond ce dernier. « Vous pourriez venir vers le CHU de Lille ? » s’enquiert Lucie, en prenant ses poireaux. « Comment ça vrac ? » répond incontestablement à un besoin de proximité. « Avant, je devais prendre ma voiture pour aller chercher des légumes dans les fermes aux alentours. J’ai voulu permettre à tout le monde de bénéficier de produits de qualité sans avoir à se déplacer, faire venir les produits fermiers directement dans Lille » confie Karim.

Comment ça vrac ? amène les produits fermiers au plus près des habitants.
© Justine Frémy

Côté clients, les profils sont variés : des étudiants avec peu de moyens, des familles, des personnes âgées isolées, des habitants des « quartiers »… tout le monde est concerné. Mais Karim souhaite avant tout démocratiser l’accès aux produits de qualité. « Même si on propose du vrac et du local, on ne voulait pas tomber dans le piège d’un public uniquement “bobo”, c’est-à-dire seulement des gens avertis qui ont les moyens. Au contraire, on voulait plutôt toucher les autres, c’est pour ça qu’on a réduit nos marges au maximum et qu’on travaille en direct avec les producteurs pour que ça soit accessible à tout le monde, nous explique-t-il. Dans les quartiers modestes, les gens sont méfiants au départ, ils hésitent parce qu’ils ont peur que ça soit cher. Ils achètent un petit truc pour voir et finalement ils goûtent et se rendent compte que c’est bon et pas si cher. Alors ils reviennent la semaine suivante, nous raconte Karim, enthousiaste. L’aspect mobile fait que chaque arrêt est une remise en question totale, on change d’univers d’une rue à l’autre, on doit pouvoir s’adapter à tout et finalement on correspond à tout le monde. »

Un rendez-vous entre voisins

Tous les matins, Karim et Kévin font le tour des producteurs locaux, parmi lesquels la ferme Wavrin, la ferme Cimetière (Toufflers), le lycée horticole de Lomme, les vergers de Méteren, les vergers de Saulzoir, Au vert galant (Verlignhem) ou encore Debon Légumes (Villeneuve d’Ascq)… pour s’approvisionner en produits frais. « Tiens le céleri branche je te le donne, il est d’hier » dit Karim en le tendant à un jeune couple. Ce qu’il ne donne pas à ses clients, Karim en fait don chaque jour à L’île de la solidarité et la Tente des glaneurs, deux associations qui distribuent des repas auprès des sans-abris ou de personnes en situation de précarité. Et ce qui ne peut être donné va au compost. « C’est une démarche à la fois sociale et anti-gaspillage » précise Karim.

Chaque passage de Comment ça vrac ? est un rendez-vous entre voisins.
© Justine Frémy

Un véritable parti pris au service de leurs principes et de leurs convictions. « Pour l’instant on ne se paye pas, mais on a une bonne progression et tout le monde est content » se réjouit Karim, à l’enthousiasme et au sourire toujours communicatif. Le magasin itinérant s’est paradoxalement bien développé pendant le premier confinement. « Les gens cherchaient à éviter les grandes surfaces bondées, les déplacements étaient limités… On a parfois eu des queues d’une heure et demi à cette période » se souvient Karim. « C’était mon petit rendez-vous du jeudi soir pendant le confinement » confirme une jeune femme en tendant son sachet pour le remplir de muesli au chocolat. « Les producteurs aussi étaient très contents. Comme les restaurants étaient fermés, ça leur a permis de diversifier leur clientèle tout en continuant à vendre leurs produits » poursuit Karim. « Comment ça vrac ? » se compose aujourd’hui d’une équipe de six personnes, dont quatre qui circulent à vélo chaque soir, entre 16 h et 20 h, dans les rues de Lille et alentours. Le secret de cette réussite ? « Comme je le dis souvent, on n’est pas des commerçants, on est là pour passer un bon moment » conclut Karim, qui nous salue d’un geste de la main en enfourchant joyeusement son vélo électrique en direction de son prochain rendez-vous.

Grâce à un design ingénieux, Karim peut transporter facilement une grande quantité de produits à vélo.
© Justine Frémy
Karim et Kévin ont réhabilité le camion laitier d’antan sous une forme moderne et urbaine.
© Justine Frémy
Plus d’infos : commentcavrac.com.