« Ces grèves ont eu lieu dans des contextes très différents », souligne Michel Pigenet, professeur émérite d’histoire contemporaine (Paris 1 Panthéon-Sorbonne) spécialiste des mouvements sociaux, « mais elles ont un point commun : elles ont surpris tout le monde ! ».
1936, on occupe les usines et on danse !
Mai-juin 1936. Au lendemain de la victoire électorale du Front populaire, des grèves éclatent un peu partout en France et se répandent comme une traînée de poudre. Écrasé par des années de crise économique, le monde ouvrier a une revanche à prendre et fait pression sur un gouvernement a priori à son écoute. Le mouvement syndical est fort et relativement uni - CGT (réformiste) et CGTU (communiste internationaliste) se sont réunifiées, la CFTC (chrétienne) demeurant bien implantée notamment dans les mines en Alsace-Lorraine et dans le Nord. Alignement des planètes ? En fait, c’est de la base que partent des grèves qui vont se généraliser. Les syndicats suivent. C’est de conflits locaux (protestations contre les licenciements d’ouvriers grévistes le 1er mai) que va éclore cet énorme mouvement pour la dignité et de meilleures conditions de vie. Les ouvriers sont à l’offensive sur toute la ligne. Par des revendications créatives, qu’ils obtiendront, au-delà des salaires - comme les congés payés et la semaine de 40 heures - et qui vont au-delà du programme initial du Front populaire. C’est une grève offensive aussi dans sa forme : « On ne se contente pas de croiser les bras, on occupe les usines, les lieux de travail » précise Michel Pigenet.
1953 : la demoiselle des PTT ne répond plus !
En 1953, les temps ont bien changé. Guerre froide, guerres coloniales, répression contre les militants. Pour compenser le gouffre financier dû aux dépenses militaires, le gouvernement de droite de Joseph Laniel entend ponctionner le monde du travail. L’Assemblée nationale l’autorise à gouverner par décrets-lois (ni discutés ni votés par le Parlement). L’un de ces décrets-lois repousse de deux ans l’âge de départ en retraite des fonctionnaires qui était alors de 65 ans pour les services sédentaires et de 58 ans pour les services actifs, et reclasse en « sédentaires » certains « actifs » qui devraient alors travailler neuf ans de plus. Les syndicats, divisés notamment du fait de la guerre froide (en 1947, FO est née d’une scission de la CGT), réagissent mollement puis proposent quelques débrayages. Ils sont submergés. C’est à la base, que l’unité va se faire. La grève part début août, de la Poste principale de Bordeaux, puis gagne, sur tout le territoire, l’ensemble du secteur public. La grève dure trois semaines, elle rassemble quatre millions de grévistes. De l’éboueur aux « demoiselles » des PTT. « La retraite cela touchait au cœur du pacte social des agents publics, explique Michel Pigenet, pain dur, mais pain sûr... si les salaires n’étaient pas très élevés, il y avait une sécurité pour les vieux jours. » Le gouvernement va lâcher. « La conclusion du conflit sera pourtant brouillonne, commente Michel Pigenet, par accords séparés comme il n’y a pas d’unité syndicale, et les grévistes n’ont même pas conscience de leur victoire. » Le gouvernement aura dû pourtant remballer ses décrets-lois et promettre d’augmenter les bas salaires.
1968 : travailleurs, étudiants, ensemble dans les rues !
En 1968, le général de Gaulle est au pouvoir depuis dix ans. Certes la croissance économique des années 50-60 a permis, en moyenne, une amélioration du niveau de vie de la classe ouvrière. Mais les conditions de travail sont dures dans les usines dont certaines concentrent des milliers de salariés (30 000 à Renault-Billancourt), les 40 heures arrachées en 1936 bien loin d’être appliquées. La pression monte dès 1967 qui compte un nombre de jours de grève inégalé. Le gouvernement s’en prend par ordonnances (donc sans passer par le Parlement) à la Sécurité sociale héritée de 1945. Au nom de son équilibre financier futur ! Les travailleurs sont dépossédés de la gestion des caisses (leur représentation passe de 75 % à 50 %) au profit du patronat. Dès le printemps 1967, la contestation de cette réforme, menée par la CGT et la CFDT, mobilise un million de salariés. À l’automne, le syndicat étudiant, l’Unef, s’y joindra. « La reprise des luttes est favorisée par l’accord d’unité d’action entre les deux principaux syndicats, la CGT et la CFDT, remarque Michel Pigenet, et ce qui est nouveau c’est le rôle de la jeunesse, notamment étudiante. » Partout dans le monde, le vieil ordre craque et la jeunesse se mobilise contre la guerre du Vietnam. Pourtant le 15 mars 1968, l’édito du Monde disserte sur le thème « Quand la France s’ennuie »... Une semaine plus tard, un groupe d’étudiants occupe une tour de la fac de Nanterre pour protester contre l’arrestation de manifestants contre le guerre du Vietnam. La contestation gagne la Sorbonne et au-delà. Face à la violence de la répression policière, les directions syndicales finissent par appeler à une journée de grève générale le 13 mai. Le 21 mai, il y a dix millions de grévistes.
Le gouvernement cherche à calmer le jeu. Les « accords » de Grenelle (tripartites : gouvernement-syndicats-patronat), négociés du 25 au 27 mai, prévoient hausses de salaire (+35 % pour le salaire minimum, le Smig), augmentation des petites retraites, reconnaissance de la section syndicale d’entreprise, engagement à réduire le temps de travail... Ce relevé de conclusions ne sera jamais signé par aucune des parties. Ni accepté par de nombreux grévistes qui continuent leur action en juin. En 1968, les travailleurs et la jeunesse voulaient « le pain et les roses » [1]. Changer la société.