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1943 : ami entends-tu le “Chant des partisans” ?

par Alain Bradfer
Publié le 9 mai 2023 à 02:31

Qui connaît Anna Marly ? Une jeune femme née à Petrograd en 1917, dont la famille, comme beaucoup de Russes « blancs » s’exila sur la Côte d’Azur en 1921. C’est elle qui écrira les notes de l’hymne culte de la Résistance.

Tout est parti d’une rencontre. Anne Marly a épousé le baron van Doorn en 1939 et passe d’un exil à l’autre en rejoignant Londres où elle s’engage comme cantinière des Forces françaises libres. La jeune femme, qui a appris quelques rudiments de composition avec Serge Prokofiev, rêve d’une carrière musicale et se produit sur scène ou à la BBC avec une chanson écrite à la gloire des partisans russes en lutte contre l’invasion allemande. Nous sommes en 1943. Quelques mois auparavant, à la fin de 1942, Emmanuel d’Astier de la Vigerie a entendu Anna Marly lors d’une soirée londonienne. Cet écrivain et journaliste avait adhéré l’Action française dans ses années lycéennes, mais a rompu avec sa famille et l’extrême-droite en ralliant le compagnonnage communiste et la Résistance, avant de rejoindre De Gaulle à Londres via l’Espagne. Il a retenu l’air sans comprendre les paroles et en parle à André Gillois, animateur de radio. La mélodie écrite par Anna Marly devient l’indicatif sifflé de son émission « Honneur et Patrie » et passe admirablement le brouillage des antennes.

Unir et fédérer par un appel à l’insurrection en musique

Partant du principe que l’on ne gagne une guerre qu’avec des chansons, d’Astier de la Vigerie demande à Joseph Kessel et son neveu Maurice Druon d’écrire des paroles susceptibles de galvaniser les troupes résistantes. Il ajoute un impératif à la commande : il faut donner l’impression que le chant sort du maquis. La version Druon-Kessel est revue à la marge par d’Astier et est interprétée pour la première fois par Germaine Sablon, compagne de Joseph Kessel. On l’entend dans « Three Songs About Resistance » du cinéaste brésilien Alberto Cavalcanti. Les actions de sabotage se multiplient sur le terrain, mais morcelée en 248 mouvements et 40 réseaux, la résistance est dédaignée dans un premier temps par le militaire De Gaulle qui se méfie de ces éléments incontrôlés. Jean Moulin et d’Astier de la Vigerie convainquent alors le général de la nécessité d’organiser ces initiatives spontanées. L’idée des Mouvement unis de Résistance (MUR) sous une direction unique naît à Londres en janvier 1943. À charge pour Jean Moulin, émissaire de De Gaulle, de mettre l’organisation en place. Une réunion se tient le 27 mai rue du Four, à Paris, sous la direction de l’envoyé du général. S’y retrouvent huit mouvements, six tendances politiques (des communistes aux démocrates populaires) et deux syndicats (la CGT et la CFTC). Le Conseil national de la Résistance (CNR) – qui constituera le socle des réformes sociales dont nous bénéficions toujours – est né ce jour-là. L’essentiel est acquis : toutes les composantes de l’insurrection armée sont désormais fédérées et font allégeance à De Gaulle pour « préparer en pleine lucidité et en pleine indépendance, la renaissance de la patrie détruite, comme des libertés républicaines déchirées. » Mais Jean Moulin tombe le 8 juillet dans un traquenard qui le conduira à sa perte dans les geôles de la Gestapo. De Gaulle ne lui trouve alors de meilleur successeur que d’Astier de la Vigerie, qui regagne la France avec, dans ses bagages, le texte du « Chant des partisans » dont il entend faire l’hymne de la Résistance. Au même moment, c’est une décision du gouvernement de Vichy qui va paradoxalement étoffer et consolider les maquis. Une loi du 4 septembre 1942 instaure un Service du travail obligatoire (STO) qui prend la suite de la « Relève », instituée au début de l’année, pour échanger le retour de prisonniers de guerre contre l’envoi d’une main d’œuvre française dans les usines allemandes. Les Français renâclent et l’échec est constaté autant par les Allemands que par Vichy. Pierre Laval, chef du gouvernement, édicte alors la loi du 16 février 1943 qui modifie les critères de recrutement : tous les hommes nés entre 1920 et 1922 sont réquistionnables pour être envoyés dans les usines allemandes. La mise en place du STO aura l’effet inverse de celui recherché : ces jeunes hommes vont enrichir les rangs des insurgés, sans attendre « la dernière heure ». Les préoccupations du moment ont repoussé l’ambition d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie, de faire du Chant des partisans un hymne née dans les maquis, sans en mentionner les noms des auteurs ou de la compositrice. Ce n’est qu’à la Libération que la chanson sera diffusée et connaîtra un succès planétaire. Hommage à Anna Marly, morte aux États-Unis en 2006, dans un total oubli.