Municipale de Marles-les-Mines en 1965

Des Franco-Polonais à l’assaut de l’hôtel de ville

par JACQUES KMIECIAK
Publié le 24 janvier 2020 à 18:38

À la Libération, Marles-les-Mines demeure l’une des villes les plus polonisées de la région. La moitié de ses habitants y seraient polonais ou d’origine polonaise. Si d’aucuns prônent toujours le repli sur soi autour de valeurs cléricalo-nationales, d’autres rêvent d’une «  intégration réussie » dans la société française des Franco-Polonais.

C’est le cas d’Edouard Papalski. Nous sommes en 1964. Marlésien de nationalité française, cet employé des Houillères de 35 ans, est l’une des étoiles montantes de la Polonia en sa qualité de dirigeant national des KSMP (Jeunesse catholique) et de l’influent Congrès des Polonais de France (KPF). Son ambition ? « Sortir les Polonais du ghetto. » Il en est persuadé : l’intégration passe aussi par le canal politique et la participation aux élections.

Aussi crée-t-il en février 1965 un Comité des électeurs d’origine polonaise avec l’ambition de faire main basse, un mois plus tard, sur la mairie de Marles, un bastion communiste. Pour y parvenir, il s’appuie sur le riche mouvement associatif local. Ici les sociétés polonaises affichent des effectifs pléthoriques avec un vivier d’électeurs potentiels : « 300 chez les femmes du Rosaire, des centaines chez les Hommes catholiques, les scouts, les sokols », souligne Edouard Papalski [1].

Ce dernier compte tout autant sur le soutien de l’Église polonaise, du quotidien Narodowiec, mais aussi de la CFDT, de FO ou encore de la SFIO et du MRP, un parti centriste d’inspiration démocrate-chrétienne. Pas de doute, « en toute logique arithmétique, le Parti communiste devait tomber », croit-il alors. Sous couvert d’ « apolitisme  », dans les faits «  les animateurs connus de ce Comité sont anticommunistes », notent les Renseignements généraux. Edouard Papalski ne cache d’ailleurs pas sa sympathie pour Jerzy Jankowski, un intellectuel polonais exilé dans la région parisienne depuis 1939. Comme journaliste à Radio Free Europe, une radio financée par le Congrès américain, ce journaliste fait figure de croisé de l’anticommunisme. Depuis la Libération, Jerzy Jankowski encourage les Polonais naturalisés à se présenter aux élections pour éviter que « la France ne devienne un pays comme la Pologne dirigée par les communistes ».

Faire « barrage au communisme  »

À Marles, c’est Gustave Lemaire, employé des Houillères à la retraite (MRP), qui conduit la liste à forte connotation « polonaise » souhaitée par Edouard Papalski. Dix candidats d’origine polonaise (sur 27) y figurent. En face, la liste menée par Gabriel Pignon, maire PCF sortant, en comporte trois. Les soutiens affluent. La presse nationale s’en mêle. La campagne est tendue. Pour Edouard Papalski, l’issue favorable de cette élection ne fait aucun doute. Et pour- tant au soir du 14 mars, c’est la douche froide. Tous les candidats soutenus par le PCF sont élus dès le 1er tour ! « Jamais le PCF n’avait obtenu autant de voix lors d’une municipale à Marles », constate, dépité, Edouard Papalski. Et celui-ci de mettre ce fiasco sur le compte de la trahison de « sympathisants qui avaient promis de voter pour nous », ou encore de la « jalousie, péché mignon des Polonais vis-à-vis de leurs voisins ».

Le conseil municipal de 1964
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L’ironie de l’histoire, c’est que six ans plus tard, c’est bien un Polonais d’origine qui accèdera au fauteuil majoral en la personne de Jean Wroblewski, communiste et athée ! Au service de la corporation minière comme délégué mineur et dirigeant de la CGT, il jouit d’une popularité considérable auprès de la population, ceci expliquant en partie cela... Les Polonais d’origine auront donc, semble-t-il, privilégié un instinct de classe au détriment d’une logique communautaire.

En cette même année 1971, des dizaines d’autres Polonais d’origine seront également élus conseillers municipaux à l’instar de Jean-Marie Krajewski, futur vice-président du Conseil général, à Vermelles. Comme il l’expliquera lui-même plus tard, « à défaut d’avoir gagné la bataille de 1965 », Edouard Papalski aura « remporté la guerre de 1971 ».

Notes :

[1Lire Une vie en Polonia, par Edouard Papalski, Les éditions Nord Avril, 2014, 18 €.