MAI-JUIN 68

L’actualité d’une lutte racontée par ceux qui l’ont faite

Un nouveau numéro de la Revue Espaces Marx

par Roland Delacroix
Publié le 28 novembre 2018 à 13:34 Mise à jour le 6 décembre 2018

Nous redoutions la profusion d’écrits centrés sur les événements parisiens, le sempiternel lanceur de pavés, les leaders charismatiques devenus pivots des médias dominants ou ralliés au pouvoir politique actuel ou encore la rediffusion de contre-vérités mille fois entendues et que l’importance de ce qui a été le plus vaste et massif mouvement de grève de l’histoire est alors à chaque fois minorée. Le nouvel exemplaire de la Revue Espaces Marx défend une autre approche.
Ludivine Bantigny, historienne, examine ce qu’elle appelle le travail de la grève. Elle montre que dans ce moment de grande intensité le lieu de travail est redécouvert et réapproprié, les rôles changent, voire s’inversent, les grévistes devenant maîtres des lieux, responsables de la préservation de l’outil de travail, les revendications jugées inatteignables sont conquises, les capacités de chacun se révèlent... Enfin une autre vie, un futur différent, peut être envisagé.
Dans ce numéro, des acteurs de ces grèves apportent leurs témoignages très concrets et vivants, souvent émouvants. Parmi eux : Auguste Parent, alors responsable syndical dans une grande entreprise métallurgique où les luttes étaient permanentes. Il détaille comment s’organise l’occupation des lieux. Il nous informe également sur la réalité des débats en assemblée générale, sur la façon dont s’établissent les cahiers de revendications et sur les rapports très tendus avec la direction. Il relate, à ce propos, non sans satisfaction, ce qui fut l’expérience d’une prise de possession des lieux.

Bernadette, « fille des mines »

Bernadette Leroy, elle, était une de ces « filles des mines » qui venaient en car, dans les conditions déplorables qu’elle décrit, travailler dans les usines textile de la métropole lilloise. Elle nous fait remarquer combien l’unité et la solidarité entre travailleurs n’allait pas de soi, comme ici ce qui sépare « les filles de mineurs combatives de par naissance  », selon son expression, et les autres salariées dont elles redoutaient la passivité. Mais l’ancienne ouvrière souligne aussi combien, dès que le combat paraît « valoir le coût  », la mobilisation semble facile et se diffuse. Elle évoque également le mépris et la désinvolture dont faisait preuve l’encadrement vis-à-vis des jeunes ouvrières, tout comme le soin apporté à la préservation de l’outil de travail.

La pénibilité des conditions de travail n’était pas réservée aux entreprises industrielles. En témoigne Josée Carcano, qui travaillait aux « Chèques postaux ». Dans cet établissement qui employait surtout des femmes, les cadences provoquaient les maladies nerveuses et les surveillantes étaient très autoritaires. Elle souligne la montée des luttes dans la période précédant le mois de mai mais aussi les difficultés de l’activité syndicale avant la reconnaissance de la section syndicale dans l’entreprise. Elle note aussi la dureté des lois visant les femmes au travail et la joie d’avoir obtenu satisfaction concernant les congés enfants malades et les jours de repos supplémentaires.
Michel Perret, jeune prêtre ouvrier, travaillait dans une toute petite entreprise métallurgique de sept salariés sans organisation syndicale. Il raconte l’effet d’entrainement engendré par les grèves des usines alentours, et les acquis obtenus grâce aux accords nationaux. Ses camarades et lui s’étaient contentés de ne plus se rendre sur le lieu de travail. Il évoque également l’effervescence qui avait gagné l’église après Vatican II.
Autre militant ouvrier et chrétien, Alain Bruneel, désormais député, raconte son premier conflit à seize ans dans une entreprise textile. Il témoigne de la facilité avec laquelle on décidait la grève dans les entreprises où les salariés inorganisés, sans habitude des luttes, étaient impatients de voir venir des syndicalistes pour se joindre au mouvement.
André Demarez, journaliste militant, rapporte la grève telle qu’elle a été vécue dans la corporation minière. Les mineurs menèrent une nouvelle grève longue et victorieuse sur bien des points. Mais cette fois-là, ils ont appris à la mener moins seuls et à négocier le devenir de la profession et la question de la reconversion.

Des ateliers à la conférence de Grenelle

Jean-Louis Moynot, aujourd’hui dernier membre vivant de la délégation de la CGT à la conférence et négociation de Grenelle, avait la tâche, ô combien délicate, de défendre au niveau national les revendications des grévistes face au patronat et au gouvernement. Dans un entretien, il relate très précisément le déroulement des négociations, la préparation du compte rendu qui en est fait devant les salariés de Renault-Billancourt. Il témoigne des tentatives de rapprochement infructueux avec l’UNEF et des dissensions en son sein, des inquiétudes des dirigeants du PCF ou encore des attitudes et initiatives de chacun à la direction de la CGT. Plus largement il nous propose quelques réflexions sur des questions qui font encore débat dans la CGT. Jean-Jacques Potaux, lui, analyse l’attitude du PCF, alors principale force d’opposition au pouvoir gaulliste.
Les analyses de chercheurs et les témoignages militants rassemblés ici montrent bien les stratégies des tenants du système capitaliste pour détourner à leur profit les revendications et les aspirations qui demeurent pourtant très vivaces. Depuis 68, des luttes se sont développées dans de nouvelles dimensions. Mais comme en Mai 68 elles demeurent inachevées et les alternatives restent à construire. La recherche de convergence des luttes entre le monde du travail et la jeunesse se poursuit. Alors continuons le combat.

Revue Espaces Marx, « Mai-Juin 68 ; l’actualité d’une lutte  », 12 euros. Commandes : Revue Espaces Marx, 6 bis rue Roger Salengro, 59260 Hellemmes-Lille.