Sorti en 1916, le roman d’Henri Barbusse a étonnement été épargné par la censure militaire et immédiatement couronné par le Prix Goncourt. « Ce livre marque un tournant dans la narration des guerres. Il tranche avec le bourrage de crânes, avec une vision héroïque et falsifiée de la guerre en cours depuis le début du conflit. Avant Barbusse, ce sont les généraux qui racontaient leurs exploits. On ne tenait pas compte de la misère des combattants, de leur souffrance. Encensé en URSS, Barbusse est devenu après-guerre le porte-étendard du pacifisme », précise Yves Le Maner.
Un accueil protéiforme
Si ce roman réaliste est bien accueilli par les poilus, il provoque l’ire des milieux d’extrême droite qui reprochent à son auteur de propager le défaitisme. À tort puisque Barbusse « s’est engagé en 1914 et souhaitait une victoire “juste” contre l’Allemagne qu’il considérait comme responsable du conflit », rappelle-t-il. Plus tard, l’Américain John Norton Cru analysera tous les livres édités sur ce conflit pour en établir la valeur historique. Ce travail d’ampleur fait l’objet d’une publication en 1929. Dans Témoins, l’ancien combattant devenu universitaire se montre critique à l’endroit d’Henri Barbusse qu’il accuse d’avoir dramatisé et surtout inventé certains évènements. Or « il semblait logique que Barbusse se soit permis quelques facilités pour rendre plus spectaculaire son récit car il s’agissait d’un roman. Norton Cru s’est aussi montré injuste dans la description de son parcours militaire », note Yves Le Maner.
Meurtrière et inutile
Et ce dernier de se demander à son tour, s’appuyant sur les dernières connaissances historiques, en quoi Le Feu pouvait être utile aux historiens sur le plan documentaire ? Henri Barbusse y ayant stationné de mai à la fin 1915, en quoi son roman nous renseigne-t-il sur le front d’Artois ? Il a donc confronté son contenu à l’analyse de Norton Cru, aux archives de guerre, aux journaux des opérations militaires et aux dizaines de témoignages écrits par les poilus eux-mêmes, pour en tirer le récit de la 3e Bataille d’Artois. Aussi meurtrière qu’inutile, elle débute le 25 septembre 1915. Yves Le Maner s’est attardé sur « le vécu des combattants ». Une approche partagée par un Barbusse « multipliant les descriptions des corps affreusement mutilés. Il avait compris que c’est cette idée qu’il fallait faire passer. Il y est là le fondement pacifique de son message ».