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Martha Desrumaux, la pasionaria du Nord

par Alain Bradfer
Publié le 6 mars 2023 à 15:38

Le 8 mars marquera la journée des droits des femmes qu’elles doivent d’abord à elles mêmes et à des activistes comme Martha...

Ce jour du mois d’août 1906, Florimond Desrumaux n’a écouté que son devoir. Caporal des pompiers volontaire, il charge la lourde pompe à eau sur le char à bras avec lequel il distribue habituellement le lait et part affronter le feu. La charrette fait une embardée et l’écrase. Cette forte tête, ouvrier gazier licencié en raison de ses opinions de gauche, reconverti dans le commerce d’épicerie, meurt de ses blessures le 6 août. Il laisse sur le carreau une veuve lourdement handicapée d’une jambe (dont elle sera amputée) et sept enfants.

À 13 ans elle est embauchée comme varouleuse dans une usine du Nord

Martha, l’avant-dernière de la fratrie, a neuf ans à la mort de son père. Tout juste scolarisée, sachant à peine lire et écrire, elle commence par décharger les betteraves dans une distillerie avant d’être placée comme bonne d’enfants dans une famille bourgeoise de Faches-Thumesnil. Elle y reste trois ans avant de s’enfuir et de parcourir à pied les 25 kilomètres qui la ramènent à Comines. Elle a treize ans lorsqu’elle se fait embaucher comme « varouleuse » aux usines Cousin. Une petite main qui approvisionne les fileuses en bobines vides. Faute d’avoir l’âge légal, elle est contrainte de se dissimuler dans une caisse lors des tournées de l’inspection du travail. En revanche, inspirée par un frère ardent militant de gauche, cette gamine qui s’est imprégnée de la conscience de classe dès sa prime jeunesse se syndique à la CGT à treize ans avant d’adhérer aux jeunesses socialistes deux ans plus tard. C’est l’âge auquel elle rencontre un couple de militants socialistes pacifistes qui la font entrer aux Cartonneries de la Lys. Elle y reste jusqu’à ce que la guerre amène à l’évacuation des populations de la Flandre vers le sud, dans un exode qui amène la famille Desrumaux à Lyon en mai 1917. Martha trouve un emploi chez un industriel cominois, les filatures Hassebroucq, qui s’y était installé dès 1914. Sans aucune mémoire des révoltes des canuts de 1831, le patron mène une gestion brutale de la main d’œuvre. L’occasion pour Martha, à vingt ans, de mener sa première grève.

Elle collecte des vivres pour les "affamés" de la Volga et s’engage en politique

Cette année 1917 est celle de la révolution d’Octobre qui fascine la jeune militante. Elle organise des collectes de vivres à destination des « affamés de la Volga » avant de fréquenter les milieux de la IIIe Internationale. Elle suit les débats qui agitent la SFIO, divisée sur l’attitude à adopter face à la révolution russe. Quasi-illettrée, elle se fait lire les textes de Paul Vaillant-Couturier et de Marcel Sembat. En 1921, dans la foulée du congrès de Tours de 1920 qui s’est conclu par la scission de la SFIO entre sociaux-démocrates et communistes, elle choisit son camp et rejoint le PC-SFIC (Parti communiste - Section française de l’Internationale communiste), ce qui l’amène à quitter la CGT pour adhérer à la CGTU (U pour unitaire). Elle quitte Lyon pour regagner le Nord où son patron, enrichi par les fournitures de guerre, a racheté des entreprises pour fonder les Filatures et Filteries de France. Une affaire qui emploie une main-d’œuvre féminine venue de Belgique, moins revendicative que les Françaises. Mais c’est compter sans une Martha Desrumaux qui, à 24 ans, du haut de son mètre soixante-quinze, avec une gouaille et un abattage qui galvanisent les troupes, poursuit le combat entamé à Lyon. Elle s’y taille le surnom de « vierge rouge », emprunté à Louise Michel. Hassebroucq, qui imagine l’amadouer par une promotion en la nommant contredame, n’arrive à rien. Mieux, elle crée en 1924 une section de la CGTU à Comines. L’année même de sa rencontre avec Maurice Thorez et de l’amitié qu’elle noue avec Jeannette Vermeersch, seconde épouse du Premier secrétaire du PCF. Elle entame alors une ascension dans les structures de la CGTU et du Parti communiste, sans négliger pour autant les luttes de terrain à commencer par l’égalité salariale entre hommes et femmes. Cette ascension lui vaut d’être désignée par le syndicat pour aller commémorer à Moscou le dixième anniversaire de la révolution d’Octobre. De retour à Comines, Hassebroucq la licencie sans que la combativité de « la grande » en soit affectée. La grève des « dix sous » (50 centimes d’augmentation de l’heure) qui s’étend sur sept mois au cours desquels Martha organise des collectes de soutien est un échec. Cela lui vaut néanmoins d’être classée dangereuse par une police qui l’arrête et la fait condamner pour atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’État. Première femme à entrer au Comité central du Parti communiste en 1929, elle repart à Moscou en 1931 pour suivre les cours de l’École léniniste internationale (ELI). Elle y effectue un stage dans l’Armée rouge et dans des entreprises avant de défiler sur la place Rouge le 1er mai 1932. Au passage elle y rencontre Louis Manguine, un camarade varois au parcours similaire, avec lequel elle forme un couple que la mort séparera, à quelques heures d’intervalle, le 30 novembre 1982. La consécration lui vient le 7 juin 1936 à Matignon. Benoît Frachon, dirigeant de la CGT qui négocie des accords salariaux avec le patronat, brandit les fiches de salaires que Martha lui a fournies, tandis qu’elle se tient dans l’ombre. En plus des quarante heures et des congés payés, Martha a obtenu la revalorisation des salaires féminins. Cette même année 1936 est celle de la guerre civile espagnole à laquelle le gouvernement du Front Populaire oppose sa neutralité. Fidèle à ses convictions, Martha organise les filières de départs pour les Brigades internationales. Martha Desrumaux qui n’a rien trouvé à redire à la signature du pacte germano-soviétique, retrouve sa conscience de résistante en 1940. Arrêtée en 1941, elle passe quelques semaines en prison avant d’être déportée à Ravensbrück le 28 mars 1942. Elle y partage le châlit avec Geneviève de Gaulle-Anthonioz avant d’être libérée, rongée par le typhus en avril 1945. Geneviève de Gaulle-Anthonioz est entrée au Panthéon en 2015. Le dossier de Martha Desrumaux a été soumis à François Hollande, sans suite.

Une ouvrière au Panthéon ?

Au recensement des 81 résidents du Panthéon, il ne se compte que six femmes. L’épouse inséparable d’un chimiste et ministre (Sophie Berthelot), une physicienne (Marie Curie), une résistante déportée devenue écrivaine (Geneviève Anthonioz-De Gaulle), une ethnologue militante des Droits de l’Homme, déportée (Germaine Tillon), une juriste, ministre, académicienne et déportée (Simone Veil) et une meneuse de revue, résistante (Joséphine Baker). Parmi les 75 grands hommes auxquels la patrie est reconnaissante aucune grande figure du monde ouvrier n’est présente dans la crypte. L’idée de « panthéoniser » Martha Desrumaux, ouvrière, militante et déportée à ce titre, a été soumise à François Hollande. Le Président de l’époque a regardé le dossier sans lui donner suite. On pourrait en conclure que la patrie ne doit aucune reconnaissance particulière à son prolétariat.

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