Et pour quelques bobards de plus, par Aymeric Monville

Un autre regard sur Staline

par JEAN-JACQUES POTAUX
Publié le 18 mai 2021 à 12:49

Traducteur, éditeur et philosophe, Aymeric Monville propose une autre lecture de l’URSS en démontant les idées reçues, voire les mensonges, colportés sur l’ex-URSS, sans pour autant nier les dérives, la répression et/ou l’arbitraire durant cette période dans son dernier essai paru aux éditions Delga, Et pour quelques bobards de plus.

Éditeur de la maison Delga, traducteur, philosophe, Aymeric Monville pratique un étroit compagnonnage avec des chercheurs dont il a souvent édité les travaux (Furr, Losurdo, Lacroix-Riz, Roberts, Tauger, etc.). Se nourrissant de leurs livres, il répond ici en un travail synthétique remarquable aux arguments anti-communistes répétés pour caricaturer l’histoire de l’URSS, plus particulièrement pendant la période stalinienne. C’est le cas du documentaire d’Arte sur le goulag [1], d’un autre sur la famine en Ukraine en 1932-1933 ou des attaques récurrentes sur le sort des prisonniers soviétiques après la guerre, sur le fait que Staline aurait laissé les nazis raser Varsovie, sur la répression des peuples déportés pendant la guerre ou sur le pacte germano-soviétique, etc. À l’heure où le Parlement européen (de la droite aux écologistes) n’a pas hésité à voter en septembre 2019 un texte établissant l’équivalence entre nazisme et communisme, la lecture de ce petit livre s’avère indispensable, ne serait-ce que parce qu’il rappelle opportunément qu’il n’est pas indifférent que ce soient les soviétiques et non les nazis qui aient gagné la guerre en 1945. Il ne s’agit pas pour Monville de rejeter la critique, ni même de nier la dimension psychologique dans le comportement du chef de l’URSS. Ainsi, après les procès de Moscou, les complots révélés montrant un danger réel, la paranoïa ne fut pas absente de la réaction des autorités refusant tout laxisme face aux dangers et à une invasion hitlérienne annoncée qui allait coûter entre 20 et 30 millions de morts au pays.

Documents falsifiés, raccourcis et oublis

On ne peut résumer l’ensemble des arguments utilisés par l’auteur en peu de place. Citons-en néanmoins quelques uns. Il prend appui sur des travaux de chercheurs qui se sont multipliés depuis l’ouverture des archives de l’URSS et des pays européens. Ainsi, à propos de Katyn, le massacre des généraux polonais étant maintenant attribué à Staline, il souligne entre autres arguments que les documents remis par Eltsine au gouvernement polonais contiennent un faux grossier : une lettre de Staline à Beria datant de 1940 avec le tampon du comité central du Parti communiste de l’Union soviétique, nom du parti qui n’aura cours qu’à partir de 1952. On ne cesse de nous répéter que la famine de 1932-1933 fut une famine génocidaire visant à punir le peuple ukrainien. Mais on oublie que cette famine ne toucha pas seulement l’Ukraine, et que c’est le communisme qui a mis fin aux fréquentes famines, la dernière datant de la fin de la guerre 40-45. « Quand il y a une famine en régime capitaliste ou féodal, c’est la faute au climat ; en régime communiste, c’est la faute aux communistes [sic] » écrit Aymeric Monville. On oublie d’ailleurs de rappeler qu’à la même époque une famine sévissait au Niger qui était une colonie française. De même on met en avant les morts du goulag soumis au travail pénitentiaire (la plupart victimes du typhus ou de la famine surtout pendant la guerre, et non du travail), mais on fait silence sur le fait que le creusement du canal de Panama a fait 22 000 victimes qui étaient des salariés.

Faire la part des choses

L’auteur polémique avec des militants de sensibilité trotskystes comme Jean-Jacques Marie ou Edwy Plenel ou encore avec l’inénarrable Michel Onfray qui, en 2017, proposait à France Inter d’aller bombarder la Chine, la Corée du Nord et Cuba pour défendre les droits de l’homme. Il invite les premiers à lire les travaux de Pierre Broué, militant trotskyste et historient honnête qui déduisit de l’étude des archives de Trotsky que ce dernier, contrairement à ce qu’il avait toujours affirmé, avait bien comploté contre Staline. On comprend en lisant ce livre pourquoi la popularité de Staline reste élevée chez les peuples de l’ex-Union soviétique. Non pas qu’on y soit indifférent aux dérives, à la répression et à l’arbitraire, mais on y fait la part des choses, et à côté de celles qui furent épouvantables, on n’oublie pas les grandes, à commencer par la victoire contre le nazisme qui fit dire au général de Gaulle que les Français savent que la Russie soviétique a joué le rôle principal dans leur libération. L’auteur fait référence au rôle de la violence dans l’histoire et à la dimension tragique de celle-ci, à partir du grand roman de Victor Hugo Quatrevingt-treize : « On peut rendre justice à Danton et à Robespierre sans pour autant applaudir aux débordements bien réels de la grande terreur. Et MOINS ENCORE aux coalisés contre-révolutionnaires qui, alors, du dedans et du dehors, non pour abolir les privilèges mais pour les rétablir, tentaient d’étrangler notre pays. »

Et pour quelques bobards de plus : contre-enquête sur Staline et l’Union soviétique, Aymeric Monville, éditions Delga, août 2020, 10 euros.

Notes :

[1Goulag, une histoire soviétique, de Patrick Rotman, diffusé sur Arte depuis février 2020 et disponible en replay sur arte.tv jusqu’au 18 août 2021.