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Alexis Trinquet

Un communard valenciennois

par JEAN-JACQUES POTAUX
Publié le 23 avril 2021 à 16:04

À l’occasion du cent cinquantenaire de la Commune, Jean-Jacques Potaux a relu le journal d’Alexis Trinquet, né à Valenciennes en 1835 et qui vécut huit ans au bagne en Nouvelle-Calédonie après la Commune de Paris. Conservé dans les archives du Parti communiste, il avait été publié en 2013 par Bruno Fuligni qui l’a sorti de l’oubli.

Né à Valenciennes en 1835, Alexis Trinquet vécut huit ans au bagne en Nouvelle-Calédonie après la Commune de Paris. Venu à Paris avec sa mère et ses deux jeunes frères alors qu’il avait quinze ans et que son père était décédé, il y exerçait le métier de cordonnier. Il avait participé aux barricades contre le coup d’État de 1851, jurant une haine implacable à l’Empire et aux ennemis de la Révolution. En 1871, il s’était battu jusqu’au bout, se cachant après la Semaine sanglante, avant d’être arrêté le 8 juin. Fervent républicain, de sensibilité radicale socialiste, farouchement anticlérical, Trinquet fut condamné au bagne avec un statut particulièrement rude. La plupart des communards arrêtés étaient déportés. Ce fut le cas de Louise Michel. S’ils étaient éloignés de chez eux et devaient répondre quotidiennement à l’appel, ils disposaient néanmoins de leur vie et de leur temps. Ce ne fut pas le cas de Trinquet et d’autres qui furent non pas déportés mais transportés, c’est-à-dire condamnés aux travaux forcés, placés avec des détenus de droit commun, voleurs, assassins, dont les deux tiers avaient grandi dans des maisons de correction. Outre les motifs de condamnation qui visaient l’ensemble des communards, relatifs au soulèvement insurrectionnel, à la prise de responsabilités publiques jugées illégales, à la destruction de bâtiments publics, il lui fut reproché d’avoir fait fusiller un sergent de ville dans la cour de la mairie, accusation des plus graves qui explique son statut de transporté. Après huit ans passés au bagne et une tentative d’évasion ratée, Alexis Trinquet commença à y rédiger son journal qui fut retrouvé en 1971 et placé dans les archives du Parti communiste, où Bruno Fuligni le retrouva et le fit éditer.

L’arbitraire et la violence sont épouvantables

Après avoir passé plusieurs mois à Toulon, menotté et enchaîné, Alexis Trinquet embarqua en novembre1971 pour la Nouvelle-Calédonie où il arriva en septembre. Prisonniers de droit commun et équipage constituent un monde sans foi ni loi d’où le communard n’aura cesse de vouloir s’extraire, choisissant la solitude ou la compagnie de ses camarades de lutte condamnés au bagne comme lui. Pour échapper aux provocations des gardiens souvent très hostiles à la Commune, il effectue un gros travail sur lui-même, s’obligeant à rester calme. Homme cultivé, connaissant la géographie, ce cordonnier suit le voyage et décrit avec précision et talent les endroits où passe le navire. Les anecdotes rendent le récit dramatique. Le capitaine drague éperdument la jeune femme d’un membre de l’équipage, et, celui-ci lui ayant demandé des comptes, il le fait mettre aux cales et aux fers pour huit jours. À l’arrivée, les passagers sont volés. Le voleur étant découvert est condamné à des coups de martinet qu’il reçoit en hurlant. Trinquet est d’abord envoyé au bord de la mer, occupé à extraire du corail pour en faire de la chaux, tâche très pénible. Il est ensuite muté dans un atelier d’habillement. Il gardera encore les effets des autres, étant considéré comme honnête. Il se lie d’amitié avec d’autres communards. Certains souffrent et meurent de maladie mais aussi de la séparation avec leur famille. Trinquet a des nouvelles de sa femme et de son fils. L’arbitraire et la violence sont épouvantables. Un détenu qui a quitté son travail pour aller aux toilettes est abattu de plusieurs coups de révolver. Des passages du livre sont particulièrement émouvants. Citons l’exemple de Gustave Maroteau, condamné au bagne pour des articles dans la presse blanquiste. Une longue détention à l’orangerie de Versailles a altéré sa santé. Phtisique, il s’éteint au bagne le 17 mars 1885, à l’âge de vingt-cinq ans.

« Je me présentais pour la dernière fois à son lit de mort. Maroteau qui avait toute sa raison plaisanta encore. Il ne voulait pas de figures tristes près de lui. (…) Nos adieux furent touchants, il me parlait de Humbert, qu’il aurait voulu embrasser avant de mourir ! Je ne cessais d’admirer le calme de ce jeune homme de vingt-quatre ans, qui allait mourir dans la force de ses convictions pour la République qu’il avait tant aimée. »

Une évasion manquée

Des détenus tentent de s’évader. Certains périssent noyés ; d’autres sont repris et subissent un régime encore plus sévère. Mais d’autres réussissent à gagner l’Australie et à revenir en France. Cela donne des idées à Trinquet et à d’autres communards, comme Allemane qui vivra jusqu’en 1935 et sera avec Jaurès un des fondateurs du journal l’Humanité. Ils décident que l’année 1876 sera pour eux celle de la liberté. Ils disposent de complicités et préparent des vivres pour le long séjour en mer. Mais la tentative est plusieurs fois ajournée en raison d’imprévus. Une véritable poisse semble peser sur Trinquet et ses amis. Finalement, l’évasion est tentée avec la prise d’un navire dont un matelot a été attiré par un complice. Mais un autre matelot est resté sur le navire qui ne cesse de se plaindre, de gémir et de pleurer. Les évadés décident de le débarquer. D’après le journal d’Allemane, il semble bien que Trinquet ait joué un grand rôle dans cette décision inopportune. Il apprendra qu’on ne réussit pas une bonne évasion avec de bons sentiments, puisqu’à peine débarqué, le matelot donne l’alerte. Il s’ensuit une infernale poursuite jusqu’au moment où les évadés sont rejoints. Trinquet se jette à l’eau, préférant la mort à la capture. L’instinct de vie le pousse à rester à la surface jusqu’au moment où il est repris, alors qu’un autre communard se noie. Les évadés passent en conseil de guerre et les condamnations sont terribles. Le régime d’incarcération sera celui de la quatrième classe : travaux forcés renforcés, nourriture avariée, privation de café et de vin, etc. La situation en métropole va changer avec l’élection à la présidence de la République d’un républicain, Jules Grévy. D’importantes actions sont menées pour la grâce et le retour des communards. La femme, le fils de Trinquet sont pleinement impliqués. Certains détenus sont libérés et rejoignent la France. Trinquet, bien que toujours détenu, est présenté et élu au conseil municipal du vingtième arrondissement en juin 1880. Il est finalement libéré et rentre à Paris le 8 janvier 1881, après dix années passées au bagne. Il est accueilli par sa famille et ses amis et son retour est fêté. Mais il est déphasé par rapport à la situation nouvelle. Resté dans l’état d’esprit de la Commune, il se trouve aux côtés de républicains qui ont choisi d’autres formes de lutte. Il meurt quatorze mois après son retour, à l’âge de 47 ans. Il est enterré au cimetière d’Ivry en présence de Louise Michel qui prend la parole, Longuet, le beau-fils de Marx, Jean Baptiste Clément, l’auteur du Temps des cerises et Clemenceau. Un petit millier de personnes assistent aux funérailles. On oublie Trinquet, redécouvert grâce à son journal du bagne, aujourd’hui édité.