Rouges estampes. Une enquête pendant la Commune de Paris

Un roman graphique sur une utopie en actes

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 23 avril 2021 à 12:43

Quand les images ne sont pas de simples illustrations de l’Histoire. Claire Trébor, Jean-Louis Robert et Nicola Gobbi perpétuent le souvenir d’idéaux toujours actuels.

Mars 1871, Raoul Avoir a abandonné ses études de droit pour se consacrer à son travail de dessinateur-graveur caricaturiste dans un Paris assiégé par les Prussiens et dont le gouvernement monarchiste de défection nationale s’est réfugié à Versailles. Comme d’autres Parisiens, ouvriers, journaliers, artisans, petites mains couturières, artistes, intellectuels, journalistes et enseignants, Raoul s’est engagé dans la Garde nationale pour défendre la capitale et une révolution fortement marquée en faveur des plus déshérités. Il doit simultanément résoudre une série de meurtres particulièrement atroces signés de motifs japonisants. Ce sont ses qualités d’observation et de dessinateur qui l’aident, au moyen d’un portrait-robot sans cesse gommé et repris, à entrevoir des pistes.

La démocratie dans toutes ses dimensions

Les auteurs, en suivant Raoul et sa compagne Nathalie, institutrice à Montmartre, nous narrent les événements depuis l’épisode des canons de la butte payés avec l’argent des Parisiens par souscription populaire et que l’armée voulait prendre, jusqu’à la Semaine sanglante, répression décrétée par Thiers et exécutée par l’armée de Mac Mahon en mai 1871. Dans une lettre écrite sur le ponton d’une prison flottante dans le port de Brest en 1872, Raoul annonce à sa mère son arrestation, sa déportation en Nouvelle-Calédonie et se soucie des suites de ses investigations. Les mesures du « Paris au front d’insurgé », épopée sociale et ouvrière, sont intégrées aux faits et gestes de Raoul et de Nathalie. Celle-ci précise aux enfants que l’école est désormais laïque, gratuite et obligatoire. Sont aussi énoncés la séparation de l’Église et de l’État, la réquisition des logements vacants, la création d’ateliers coopératifs suite à l’abandon par leurs patrons. L’émancipation des femmes est programmée avec la mise en place d’une école professionnelle pour les filles. Ces décisions s’inscrivent pleinement dans cet esprit de tolérance et de fraternité qui imprègne toute cette première expérience de pouvoir prolétarien, cet essai de démocratie pour le plus grand nombre.

Harangués par les femmes, les soldats chargés de prendre les canons de la butte de Montmartre vont fraterniser avec la population.

Des personnages historiques célèbres (peintres, graveurs, photographes, journalistes, institutrice, tels Courbet, Henry, Cattelain, Braquehais, Rigault, Vallès et Louise Michel qui fut déportée en Nouvelle-Calédonie) sont mêlés aux personnages de fiction et des documents d’époque mis en contrepoint viennent corroborer le récit : photo du parc d’artillerie de la butte, caricature d’Anon sur la réaction des propriétaires lors du moratoire sur les loyers, affiches, carte postale, dessin de Darjou du « Mur des Fédérés, exécution des prisonniers par les Versaillais ».

Tensions toujours présentes dans la sphère politique

Après l’écrasement de la Commune, le gouvernement interdit la diffusion de clichés et pièces susceptibles d’entretenir le souvenir de ce mouvement d’émancipation, ils n’organisèrent que la visite des ruines. De même, les manuels scolaires ne disent rien, ou si peu, de l’espoir assassiné, et ce, toujours du point de vue de la classe au pouvoir, ne retenant que « le massacre des otages, les incendies des plus beaux monuments de Paris par les communards et les pétroleuses ». Que dire aujourd’hui des élus de droite au Conseil de Paris qui s’opposent à la célébration des 150 ans de la Commune ?

À l’épreuve de la couleur

La couverture de l’album rend à la Commune sa dimension d’espérance écrasée : hommes et femmes déterminés se sont levés et avancent, drapeau rouge « Vive la Commune » déployé tandis qu’en ce printemps du mois de mai, s’envolent les fleurs blanches d’un magnolia, d’où tombent des gouttes de sang. Les traits noirs du dessin sont associés tantôt à des transparences, tantôt à des marques plus opaques de rouge. Placées sous le signe du tragique, les éruptions d’un rouge dense qui cisaillent les corps accusent la sauvagerie de la répression versaillaise ainsi que des meurtres et mises en scènes morbides. Par contre, des touches légères qui ne privilégient que quelques éléments, soulignent la liberté de conception du dessin et la netteté du trait. Elles cadencent, dynamisent un récit à tonalité de reportage et octroient à la lumière son plein effet. Une lumière qui redonne vie à la Commune... quand Paris était le cœur et l’esprit d’une révolution sociale, d’une autre élaboration du « vivre ensemble  » dans une vraie République où l’égalité et la souveraineté populaire ne seraient pas des mots creux, somme de valeurs que nos dirigeants sont peu disposés à promouvoir.

Éditions Steinkis, 21,5 x 28,5 cm, 128 pages, 19 €.