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Contrevérités

Zemmour face à l’Histoire

par PIERRE GAUYAT
Publié le 10 mars 2022 à 18:56 Mise à jour le 11 mars 2022

Éric Zemmour aime à se faire passer pour un historien auprès d’un certain public. L’ennui c’est que pour se prévaloir d’une démarche historienne, il convient de respecter un certain nombre de règles dont il s’affranchit allègrement. 16 historiens lui répondent dans un petit livre fort stimulant, Zemmour contre l’Histoire.

Le travail historique se réalise sur la base d’archives, il faut déplacer de la poussière pour trouver certaines pièces enfouies depuis longtemps. C’est long, c’est fastidieux et parfois ça ne débouche sur rien. Bref, c’est obscur et ingrat. Éric Zemmour préfère, lui, la lumière des rampes de spots des plateaux de télévision où on lui tend si complaisamment le micro. Face à cette imposture et au danger que représentent ses thèses racistes (pour lesquelles il a d’ailleurs été condamné à trois reprises) car il s’agit bien de cela, d’idéologie à peine voilée et de rien d’autre, des historiens, spécialisés chacun dans un domaine, car personne ne peut être spécialiste de tout, sauf à effleurer les sujets traités, ont décidé de reprendre ses écrits et de les étudier en historien. Très vite, de nombreuses impostures leur sont apparues, depuis Clovis jusqu’au procès Papon ; 1 500 ans d’histoire revisitée à la sauce Zemmour.

16 historiens spécialistes d’une époque

Chaque historien, spécialiste d’une époque, d’une période ou même d’une guerre, reprend les affirmations de Zemmour et les confronte à l’état des connaissances les plus récentes. Eh bien, ce n’est pas triste. Que d’erreurs, d’approximations voire de mensonges éhontés. Par exemple, Zemmour affirme que l’on ne parle plus de Clovis, sous-entendu on occulte le roi franc parce qu’il s’est converti au christianisme. Rien n’est plus faux, il est enseigné en classe et des recherches sont encore parues récemment à son sujet. De la même façon, il rend les protestants responsables des massacres dont ils furent victimes au XVIe siècle en les assimilant au « parti de l’étranger ». Les victimes deviennent les coupables et les vrais coupables se transforment en innocents. Mais là où Zemmour fait très fort, c’est dans le domaine de l’histoire contemporaine. Il va jusqu’à inventer que les mutineries de 1917, au Chemin des Dames, auraient été provoquées par le manque d’esprit offensif de l’état-major ! Celle-là, il fallait oser ! Non, les Poilus se sont mutinés car ils en avaient assez de ces offensives aussi meurtrières qu’inutiles, comme l’offensive Nivelle qui fit tuer 30 000 hommes en dix jours, et non parce qu’ils rêvaient de boire une bière à Berlin !

Les victimes deviennent coupables

Mais sa période favorite, c’est la Seconde Guerre mondiale. Pas par admiration pour les résistants ou pour les peuples unis dans la lutte contre le nazisme. Non, plus simplement pour réhabiliter le maréchal Pétain et son régime de collaboration. Il va jusqu’à prétendre, contre toute évidence, que Vichy aurait protégé les Juifs français, au prix de la « livraison » des Juifs étrangers. L’ennui, c’est qu’il n’y a aucune trace de cette « volonté », et celles qui existent montrent à quel point Vichy est responsable de la déportation des Juifs de France. 75 000 sont partis du camp de Drancy vers les camps de la mort nazis, dont un tiers de Français, sans que cela n’émeuve ce gouvernement collaborationniste. Si la communauté juive a été relativement moins décimée que celles d’autres pays, c’est parce que la population les a cachés et protégés. Et tout cela s’est fait contre le gouvernement de Pétain et de Laval.

Révisionnisme et réhabilitation de la collaboration

Pour parfaire son œuvre de révisionniste, Éric Zemmour tente même de réhabiliter Papon, condamné pour complicité de crime contre l’humanité dans la déportation des Juifs bordelais. Il faut dire qu’il était aussi à la manœuvre le 17 octobre 1961 lors de la manifestation du FLN qui fit des centaines de morts et de disparus dans la communauté algérienne, ou le 8 février 1962 quand la police réprima une manif anti-OAS faisant neuf morts, tous communistes ou militants de la CGT. C’est sans doute pour ces actes qu’Éric Zemmour le regarde avec les yeux de Chimène. Zemmour cherche à instrumentaliser l’histoire pour la faire entrer de force dans son carcan idéologique. Les historiens déconstruisent sa parole pour nous montrer les intentions de l’histrion. L’histoire est une science qui n’a nul besoin d’un apprenti sorcier comme Zemmour.

Zemmour contre l’Histoire, collectif, Tracts n° 34, Gallimard, 64 pages, 3,90 €.