DU TEMPS DE LA GUERRE FROIDE

Le destin tourmenté de Stephan Slaby

par JACQUES KMIECIAK
Publié le 25 février 2019 à 14:05

Ses proches enquêtent sur les circonstances du départ « précipité » en Pologne de Stephan Slaby et de sa famille. Résidant à Barlin, près de Béthune, Stephan Slaby a probablement été expulsé de France au début des années 1950. A l’époque, des dizaines de militants communistes et syndicalistes sont reconduits à la frontière. Des expulsions qui contredisent le mythe d’une assimilation « sans problèmes » des travailleurs polonais dans la société française…

Depuis 1947, la Guerre froide bat son plein. La tension est vive sur le plan diplomatique entre la France capitaliste en voie d’américanisation et la Pologne populaire, proche de l’URSS…

En Pologne, dès mars 1949, Yvonne Bassaler, secrétaire au consulat de France à Wroclaw, est inculpé d’espionnage puis condamnée par un tribunal militaire à neuf ans de prison. La France réplique : en novembre de la même année, le vice-consul de Pologne à Lille, Szczerbinski, un ancien résistant du Bassin minier soupçonné lui aussi d’espionnage, est arrêté et torturé. Il sera expulsé quelques mois plus tard.

Stephan Slaby (assis) est reparti en Pologne accompagné de son épouse Marianna et deux de ses enfants Henryk et Adéla.

Le 30 décembre 1949, une bombe éclate devant la façade de l’ambassade de Pologne à Paris. La Pologne soupçonne les milieux polonais d’extrême droite d’avoir commis cet acte qui suscite une forte émotion. En janvier 1950, le ministère français de l’Intérieur dissous les organisations polonaises de France (RNP, Grunwald, OPO…) favorables à Varsovie.

Le mois suivant, André Robineau, fonctionnaire au consulat de France à Szczecin, est condamné par une cour polonaise à douze ans de prison pour espionnage là encore. En novembre 1952, le journal communiste Gazeta Polska (La Gazette polonaise) est interdit sur ordre du ministère français de l’Intérieur. Dès les grèves dans les mines de 1947 et 1948, celui-ci a fait procéder aux expulsions des principaux activistes communistes polonais.

En proie à la répression

L’expulsion ? C’est certainement le sort subi par Stephan Slaby. Arrivé en France en 1923, il travaille comme mineur de charbon à la fosse Lemay à Pecquencourt. En 1929, il gagne Barlin. « Il habitait coron d’Olhain (aujourd’hui rue de Fresnicourt) et travaillait à la fosse 7 », souligne Francis Prud’homme, son petit-fils. Généalogiste, celui-ci aimerait retracer le parcours de son grand-père. Une façon de lui rendre hommage.

« Stephan Slaby était un dur, comme mon père. La vie n’était pas facile pour les mineurs polonais qui s’élevaient contre les méthodes des Houillères  », commente Francis Prud’homme qui bénéficie du soutien de l’association Les Amis d’Edward Gierek dont « l’ambition est de rappeler le parcours de ces militants qui se sont manifestés sur le front de classe, et ont subi la répression étatique et patronale ».

Appel à témoins

« On sait que mon grand-père a exercé dans les mines jusqu’en 1951. Après, il est reparti en Pologne. Sa femme Marianna, son fils Henryk et sa fille Adéla l’ont accompagné. Quant à mère Wanda, mariée avec un Français, elle est restée en France », précise Francis qui ignore les motifs et les circonstances du départ « précipité » de son grand-père vers la Basse-Silésie.

Il y a cependant de fortes chances qu’il ait été expulsé en raison de ses activités au sein du Parti communiste français (PCF). En Silésie, au cœur d’un territoire récemment arraché à l’Allemagne vaincue, Stephan Slaby « serait même devenu maire de Mieroszow, une ville située au sud de Walbrzych où de nombreux polonais de France se sont installés après la Seconde Guerre mondiale ».

Jacques Kmieciak, de l’association Les Amis d’Edward Gierek, Francis Prud’homme,petit-fils de Stephan Slaby, et Jean-Paul Courchelle, secrétaire de la section PCF de Barlin.

« Notre idée est de mieux cerner les activités militantes de Stephan Slaby en vue de lui consacrer un livret ou une exposition  », poursuivent les amis d’Edward Gierek. « C’est pour cette raison que nous lançons un appel à témoins [1]. Les personnes qui ont côtoyé Stephan et Marianna, pourraient nous en dire plus sur ce mineur au destin tourmenté », imagine Jean-Paul Courchelle, conseiller municipal et secrétaire de la section PCF de Barlin. Il enquête déjà de son côté auprès des « anciens » de sa commune.

Détricoter le mythe d’une intégration facile

Cette démarche s’inscrit dans le cadre du 100e anniversaire de l’arrivée massive des travailleurs polonais en France. « La présence polonaise dans le bassin minier est trop souvent circonscrite à sa seule dimension culturelle, folklorique ou religieuse. Nous souhaitons faire toute la lumière sur l’aspect social, les grèves, la répression impitoyable qui s’abattait sur les syndicalistes. Des faits trop souvent ignorés dans les discours officiels qui placent, à tort, les Polonais sur un piédestal pour leur capacité d’assimilation. Un mythe que nous nous efforçons de déconstruire », assurent les amis d’Edward Gierek.

Notes :

[1Pour tout contact : 06 89 55 95 24