Depuis 1947, la Guerre froide bat son plein. La tension est vive sur le plan diplomatique entre la France capitaliste en voie d’américanisation et la Pologne populaire, proche de l’URSS…
En Pologne, dès mars 1949, Yvonne Bassaler, secrétaire au consulat de France à Wroclaw, est inculpé d’espionnage puis condamnée par un tribunal militaire à neuf ans de prison. La France réplique : en novembre de la même année, le vice-consul de Pologne à Lille, Szczerbinski, un ancien résistant du Bassin minier soupçonné lui aussi d’espionnage, est arrêté et torturé. Il sera expulsé quelques mois plus tard.
Le 30 décembre 1949, une bombe éclate devant la façade de l’ambassade de Pologne à Paris. La Pologne soupçonne les milieux polonais d’extrême droite d’avoir commis cet acte qui suscite une forte émotion. En janvier 1950, le ministère français de l’Intérieur dissous les organisations polonaises de France (RNP, Grunwald, OPO…) favorables à Varsovie.
Le mois suivant, André Robineau, fonctionnaire au consulat de France à Szczecin, est condamné par une cour polonaise à douze ans de prison pour espionnage là encore. En novembre 1952, le journal communiste Gazeta Polska (La Gazette polonaise) est interdit sur ordre du ministère français de l’Intérieur. Dès les grèves dans les mines de 1947 et 1948, celui-ci a fait procéder aux expulsions des principaux activistes communistes polonais.
En proie à la répression
L’expulsion ? C’est certainement le sort subi par Stephan Slaby. Arrivé en France en 1923, il travaille comme mineur de charbon à la fosse Lemay à Pecquencourt. En 1929, il gagne Barlin. « Il habitait coron d’Olhain (aujourd’hui rue de Fresnicourt) et travaillait à la fosse 7 », souligne Francis Prud’homme, son petit-fils. Généalogiste, celui-ci aimerait retracer le parcours de son grand-père. Une façon de lui rendre hommage.
« Stephan Slaby était un dur, comme mon père. La vie n’était pas facile pour les mineurs polonais qui s’élevaient contre les méthodes des Houillères », commente Francis Prud’homme qui bénéficie du soutien de l’association Les Amis d’Edward Gierek dont « l’ambition est de rappeler le parcours de ces militants qui se sont manifestés sur le front de classe, et ont subi la répression étatique et patronale ».
Appel à témoins
« On sait que mon grand-père a exercé dans les mines jusqu’en 1951. Après, il est reparti en Pologne. Sa femme Marianna, son fils Henryk et sa fille Adéla l’ont accompagné. Quant à mère Wanda, mariée avec un Français, elle est restée en France », précise Francis qui ignore les motifs et les circonstances du départ « précipité » de son grand-père vers la Basse-Silésie.
Il y a cependant de fortes chances qu’il ait été expulsé en raison de ses activités au sein du Parti communiste français (PCF). En Silésie, au cœur d’un territoire récemment arraché à l’Allemagne vaincue, Stephan Slaby « serait même devenu maire de Mieroszow, une ville située au sud de Walbrzych où de nombreux polonais de France se sont installés après la Seconde Guerre mondiale ».
« Notre idée est de mieux cerner les activités militantes de Stephan Slaby en vue de lui consacrer un livret ou une exposition », poursuivent les amis d’Edward Gierek. « C’est pour cette raison que nous lançons un appel à témoins [1]. Les personnes qui ont côtoyé Stephan et Marianna, pourraient nous en dire plus sur ce mineur au destin tourmenté », imagine Jean-Paul Courchelle, conseiller municipal et secrétaire de la section PCF de Barlin. Il enquête déjà de son côté auprès des « anciens » de sa commune.
Détricoter le mythe d’une intégration facile
Cette démarche s’inscrit dans le cadre du 100e anniversaire de l’arrivée massive des travailleurs polonais en France. « La présence polonaise dans le bassin minier est trop souvent circonscrite à sa seule dimension culturelle, folklorique ou religieuse. Nous souhaitons faire toute la lumière sur l’aspect social, les grèves, la répression impitoyable qui s’abattait sur les syndicalistes. Des faits trop souvent ignorés dans les discours officiels qui placent, à tort, les Polonais sur un piédestal pour leur capacité d’assimilation. Un mythe que nous nous efforçons de déconstruire », assurent les amis d’Edward Gierek.