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Gustave Ansart : La plume et le marteau

Publié le 27 mars 2023 à 14:07

Né dans le quartier populaire du « Pile » à Roubaix, Gustave Ansart était le deuxième enfant d’une famille ouvrière. Lui-même ouvrier métallurgiste engagé dans la défense des intérêts du monde du travail. Il adhère au syndicat CGT et au PCF dont il deviendra un des dirigeants. Député du Nord, il endossera la direction du quotidien Liberté en 1958. Son fils, Gustave, se souvient. Extraits.

1958, j’ai 8 ans (...). 1958, c’est aussi un tournant dans la vie de mon père et de ce fait dans ma vie de militant en herbe. C’est le début de la rencontre avec Liberté. Les difficultés financières du Parti, consécutives à la perte de 130 députés (les députés communistes ainsi que les autres élus reversaient une grande part de leurs indemnités. (...) La presse communiste doit réduire la voilure. (...) Gustave devient un véritable « patron de presse », soucieux de hisser le titre au niveau des majors de la presse régionale, aux solides appuis, aux structures financières puissantes - La Voix du Nord, Nord Eclair, Nord Matin, la Croix du Nord  -, d’exister auprès d’eux, d’atteindre leur crédibilité, leur influence, leur diffusion. Dans tout cela il y a du rêve d’un Don Quichotte (le personnage que Brel a popularisé dans son opéra), mais « rêver » a servi toute sa vie durant de moteur au combat de Gustave. Le pluralisme existe à cette époque. (...)

Gustave et Jacques un duo dans la tourmente

(...) Gustave engage la bataille avec un gros capital : une équipe de journalistes et d’employés de presse courageux, dévoués, désintéressés et le mot n’est pas trop fort : héroïques. De ces années date la complicité de Gustave avec Jacques Estager. Jacques, professeur de Lettres, résistant, dévoreur de livres. Jacques deviendra le lieutenant et l’ami de Gustave. (...) En échange de l’aide précieuse apportée par Jacques, Gustave donne à ce dernier et à toute l’équipe de la « rue de Lannoy » la rigueur et la discipline dont le journal a besoin pour survivre. Les difficultés financières semblent insurmontables, mais « les camarades du Journal » consentent des sacrifices inimaginables dans d’autres rédactions. Des salaires non versés, des mois sans être payés n’ébranlent pas les convictions de ces journalistes militants, convictions forgées dans les camps comme Roger Duvinage, dans la Résistance comme Louis Lallemand et Michel Defrance, dans les « jeunesses » ou les syndicats pour les autres. Peu abandonneront. (...) Il faut remettre le journal à flot : les caisses sont vides. Les sacrifices consentis par les camarades ne suffisent pas. (...) Gustave lance les « grandes souscriptions », les tombolas, les jeux (sur le modèle des journaux concurrents) avec l’aide des « annonceurs » de l’Agence de publicité qui prend un nouvel essor sous les couleurs de « Nord France Publicité ». (...)

La fête populaire de Brunémont

Les « concours » de Liberté connaissent un grand succès qui se traduit par des hausses de vente et des abonnements ; il faut dire que l’on peut gagner des lots qui font rêver à l’époque : une R8 Renault ! Une maison ! Papa porte une attention particulière à l’organisation de la « fête de Brunémont » rendez-vous populaire estival, source d’importantes rentrées financières. Les « annonceurs » Coca-Cola, Renault, Ricard... paient les emplacements, les cellules et les sections aussi. Dans cette France où les foyers populaires ne disposent pas tous d’une voiture, des centaines d’autobus amènent des milliers de travailleurs et leurs familles à Brunémont, au bord du lac. Les bus venus du Bassin minier, du Bassin de la Sambre, de la Région lilloise et de la Côte font le plein. Il faut dire que des vedettes s’y succèdent : Dalida, Devos, Johnny, Dick Rivers, Dutronc... (en suivant mon oncle Joseph, chef du service d’ordre, j’approche ces vedettes. Joseph prendra même Dalida dans ses bras afin de lui éviter la boue). Je croiserai aussi Jean Ferrat, alors inconnu du grand public, seul dans la foule, guitare sur l’épaule (déjà cette belle gueule qui nous manque terriblement). (...)

Une deuxième rotative

Gustave réalise un projet fou : installer une deuxième rotative, qui dort en pièces détachées dans des caisses. Deuxième rotative qui, combinée au travail de la première, permettrait de sortir un « 16 pages » en cahiers encartés. L’argent manque pour mener à bien ce projet, mais deux camarades métallos de l’usine de Fives (dont un Leblond) se proposent de relever cet audacieux défi, à condition de leur acheter un tour. Pages locales, page télé, page pêche, page tiercé et petites annonces de locations de vacances.... (...) Liberté Dimanche suscitera même l’intérêt des parisiens joueurs de PMU ; en effet, quelques pronostiques heureux seront mentionnés dans les médias spécialisés.(...)

Naissance de Liberté Dimanche

Cette modernisation de Liberté enthousiasme le CDL de base (...) Le CDL, c’est le « comité de diffusion de Liberté  », attaché à une cellule, une section, une commune et même une entreprise. Par le « porte-à-porte et les tournées » du CDL, les cellules y trouvent en retour un moyen de communication privilégié et durable avec les électeurs. Liberté Dimanche, plus attrayant, devient un puissant outil politique populaire. (...) Top du top : Marcel Thomazeau (résistant, déporté, venu de La Marseillaise pour des raisons familiales, pour quelques mois directeur adjoint de Liberté) annonce que Liberté va se doter d’un car publicitaire. Ce car, je vais le découvrir flambant neuf dans la cour du journal, pas aussi grand, mais plus beau que celui de « La Voix ». Quand il passera dans mon quartier, les camarades chauffeur et animateur me feront un inoubliable cadeau : ils nous invitent moi et mes camarades à « tourner » dans Roubaix installés sur la plate forme et micro en main. Nous vendons des « poignées » : Liberté du jour bien sûr, Vaillant (Pif), Miroir Sprint, Miroir du football, Heures Claires, la V.O.... Des années plus tard, de passage au journal, je découvrirai le même car abandonné au fond du garage : balafré par les accrochages, fils de sono qui pendouillent comme des guirlandes... le temps a passé. (...)

• La revue Espaces Marx publie un numéro spécial à l’occasion du centenaire de Gustave Ansart. Pour passer commande : règlement de 15 € à l’ordre de « Espace Marx Nord – Pas de Calais », 6bis, rue Roger Salengro, 59260 Hellemmes-Lille.

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Nord