Centenaire du PCF

Le Parti communiste n’est pas né à Tours

par DAVID NOEL
Publié le 18 décembre 2020 à 15:54

Si le Congrès de Tours de la SFIO, qui se tient du 25 au 30 décembre 1920, voit la majorité des délégués socialistes voter l’adhésion à l’Internationale communiste, le nouveau parti, qui conserve la dénomination de « Parti socialiste, Section française de l’Internationale communiste » jusqu’au congrès administratif de Paris de mai 1921, ne s’est pas transformé pour autant en parti de type nouveau. La SFIC de 1921 n’est pas le Parti bolchevik et conserve bien des traits de l’ancien Parti socialiste. La raison en est simple : la majorité de Tours est en réalité diverse. Elle agrège les anciens dirigeants du Comité de la Troisième Internationale, emmenés par Fernand Loriot et Boris Souvarine - emprisonnés depuis les grèves de mai 1920 et absents lors du Congrès de Tours - et l’aile gauche du courant « longuettiste » menée par Marcel Cachin et Louis-Oscar Frossard. Les premiers entendent construire un parti révolutionnaire de type léniniste en assumant la rupture avec l’aile droite des ex-majoritaires de guerre et l’aile centriste du Parti socialiste, menée par Jean Longuet, petit-fils de Karl Marx, député et directeur du Populaire. À la tête de la SFIO depuis 1918, le courant de Longuet tire un bilan critique de l’Union sacrée et accepte de quitter l’Internationale socialiste lors du Congrès de Strasbourg de février 1920, mais se montre réservé quant à l’adhésion à l’Internationale communiste. Attaché au droit de tendance et à l’héritage du socialisme français et du jauressisme, hostile à l’épuration du parti demandée par les révolutionnaires, le courant longuettiste se fracture à la suite du ralliement de Cachin et Frossard à l’adhésion à l’IC, après leur voyage à Moscou de juin-juillet 1920. En l’absence de Loriot et Souvarine, ce sont donc Cachin et Frossard qui portent la motion d’adhésion à l’Internationale communiste rédigée pour l’essentiel par Loriot qui en est le premier signataire. Les deux ex-longuettistes sont toutefois dans l’ambiguïté : convertis à l’adhésion à l’IC, ils veulent avant tout régénérer le vieux Parti socialiste et ne veulent pas d’épuration ; ils ne désespèrent pas non plus de se réconcilier avec Longuet. S’ils acceptent le principe de la discipline dans l’Internationale, ils espèrent néanmoins préserver la marge de manœuvre du parti français. Le télégramme de Zinoviev et la venue de Clara Zetkin à Tours vont précipiter la rupture avec les « centristes ». Jean Longuet paie sa participation à la conférence de Berne, début décembre 1920, avec les socialistes autrichiens et les socialistes indépendants britanniques et allemands en vue de reconstituer une Internationale socialiste unique. La démarche aboutira à la constitution de l’Internationale dite « Deux et demie » par les partis socialistes situés en dehors de l’Internationale socialiste, critiquée pour son réformisme, mais refusant d’adhérer à l’Internationale communiste. Quelques années plus tard, l’Internationale « Deux et demie » rejoindra l’Internationale socialiste. Pour Lénine, la démarche et la stratégie de Longuet étaient inacceptables et la rupture avec les centristes de la SFIO inévitable. En 1921, la SFIC, affaiblie par le départ des dissidents de la SFIO maintenue, est extrêmement divisée. Ex-longuettistes et ex-membres du Comité de la Troisième Internationale sont en désaccord sur ce que doit être le Parti communiste et sur ce que doivent être les rapports entre le Parti communiste et l’Internationale. Les désaccords sont tels qu’en décembre 1921, au Congrès de Marseille, Boris Souvarine, le représentant de la SFIC à l’Internationale, n’est pas réélu au Comité directeur du parti, tans ses rapports avec Frossard, le secrétaire général, sont difficiles. Lors du IVe Congrès de l’Internationale communiste, en novembre 1922, le parti français est sévèrement critiqué et Trotsky présente une résolution exigeant le départ des communistes de la Ligue des droits de l’homme et de la franc-maçonnerie, considérées comme des organisations bourgeoises et des lieux de rencontre entre communistes, socialistes et radicaux. Cette résolution, qui a parfois été présentée comme la « 22ème condition d’adhésion » provoque la démission de Frossard en janvier 1923. Désormais dirigé par Albert Treint et Boris Souvarine, le nouveau Comité directeur est chargé de mettre en œuvre la « bolchevisation » du Parti communiste, c’est-à-dire la modification de ses structures modelées sur le modèle russe : remplacement des sections de ville par des cellules d’entreprise numérotées et regroupées en rayons, suppression des fédérations départementales et mise en place de régions, promotion de militants ouvriers, accroissement du contrôle du Centre sur les régions par l’envoi de délégués régionaux permanents du parti et subordination renforcée de la CGTU au PC. Des milliers d’adhérents quittent le Parti communiste dans lequel le débat interne se fige : Souvarine ayant diffusé les thèses de Trotsky, Zinoviev s’appuie sur Albert Treint soutenu par les émissaires de Moscou pour l’isoler. Alors qu’il avait été l’un des principaux artisans de l’adhésion à l’Internationale communiste, Boris Souvarine démissionne du bureau politique avant d’être exclu du PC par l’Internationale en juillet 1924. Dans la région Nord, un certain Maurice Thorez, secrétaire de la fédération du Pas-de-Calais, hésite, début 1924. Intellectuellement proche de Souvarine et de l’ancienne aile gauche du Parti, il comprend que la lutte est perdue quand il voit les fédérations se rallier les unes après les autres à Treint et à la direction du PC. En décembre 1924, c’est au tour de Pierre Monatte et d’Alfred Rosmer, les fondateurs de La Vie ouvrière, venus du syndicalisme révolutionnaire, partisans de l’autonomie syndicale et hostiles à la stalinisation du Parti communiste d’être exclus du PC. Fernand Loriot, l’auteur de la motion d’adhésion de Tours, qui est resté proche d’eux, dirige l’opposition interne au sein du PC en 1925 avant de quitter à son tour le Parti communiste en 1926. Événement fondateur dans la genèse du communisme français, le Congrès de Tours est donc un moment ambigu. La naissance du Parti communiste ne se fait pas à Tours, elle s’étale en réalité sur plusieurs années. La bolchevisation du PCF, à partir de 1924, doit sans doute être considérée comme le véritable acte de naissance du Parti communiste en France. À cette date, les fondateurs du PCF, issus de la minorité pacifiste et du syndicalisme-révolutionnaire quittent un Parti communiste qui n’est pas celui dont ils avaient rêvé. Le Centenaire de la naissance du Parti communiste nous invite à faire ressurgir leurs noms de l’oubli et à nous réapproprier notre histoire dans toute son entièreté.

David Noël est professeur d’histoire-géographie, doctorant en histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne et ancien conseiller municipal communiste d’Hénin-Beaumont.