Albert Versquel, l’étonnant parcours du « médecin des mineurs »

par JACQUES KMIECIAK
Publié le 19 octobre 2018 à 12:01 Mise à jour le 16 novembre 2018

Originaire de Sin-le-Noble, Albert Versquel (1909 – 1979) exerce aux lendemains de la Libération, comme médecin-chef des Houillères du bassin du Nord-Pas-de-Calais. A ce titre, il participe à la mise en place du Centre de recherches de Douai consacré à la silicose. Albert Versquel est réputé pour ses travaux sur cette maladie pulmoniaire due à l’inhalation de particules de silice. Des voyages en Grande-Bretagne alors à la pointe de la recherche, lui offrent de nourrir sa réflexion. Aussi n’aura-t-il de cesse d’exiger des Houillères dont il est le salarié, des réparations à la mesure de ce mal (reconnu maladie professionnelle en 1946 seulement) qui ruine la santé de milliers de « gueules noires ».

Albert Versquel est réputé pour ses travaux sur la silicose, maladie pulmonaire due à l’inhalation de particules de silice.

A l’automne 1947, il est, selon la CGT, « écarté de sa fonction lorsque Léon Delfosse, directeur adjoint des Houillères, fut destitué de ses responsabilités  ». Un an plus tard, Albert Versquel travaille comme médecin-conseil à la Caisse de secours de Nœux-les-Mines. Pendant la grève, il cesse lui aussi le travail, assurant toutefois une permanence une fois tous les deux jours à son bureau, pour traiter des éventuelles urgences. Naturellement, Albert Versquel soutient les revendications de la corporation.

Les Houillères règlent leurs comptes

Lorsque le 19 octobre éclatent sur le carreau de la fosse 8 à Verquin, près de Béthune, des échauffourées entre la police et près de 600 manifestants souhaitant déloger les « jaunes » de leur poste de travail. Les forces de l’ordre qui assurent la protection des travailleurs sont prises à partie. Un inspecteur de police, officiant à Barlin pendant la guerre comme supplétif des nazis, y est roué de coups puis déculotté ! Sur place, Albert Versquel est amené à secourir un gréviste blessé. Peu après, il apprend à la radio, qu’il était recherché comme « responsable des troubles » survenus à Verquin. C’est la stupeur. Interpellé quelques jours plus tard, il est mis à l’isolement à la prison de Béthune. Il a beau clamer son innocence, rien n’y fait. Son arrestation relève manifestement d’une machination ourdie par les Houillères qui trouvent là le moyen de se débarrasser d’un médecin qui, aux «  honneurs quelque fois bien mesquinement acquis », préférera « l’amitié des travailleurs de notre corporation », commente La Tribune des Mineurs. A la mi-février, Albert Versquel entame une grève de la faim pour obtenir que son procès s’ouvre enfin. Après 21 jours de grève, il obtient satisfaction. «  Par son action héroïque, il aura fait accélérer l’instruction pour tous les mineurs emprisonnés », souligne encore l’organe de la Fédération régionale des mineurs CGT.

La prison comme école politique

Le 12 mars 1949, 32 personnes sont convoquées, dans le cadre de l’ « affaire de Verquin », devant le tribunal correctionnel de Béthune. Si une majorité comparaissent libres, cinq militants sont toujours en préventive. Il s’agit de Victor Foulon, dirigeant CGTiste et président de la Caisse de secours de Nœux-les-Mines, Ange Colombo et Joseph Szczurek d’Hersin-Coupigny, Hector Barrois de Fresnicourt-le-Dolmen. Et bien sûr Albert Versquel. Bien que deux gendarmes témoignent en sa faveur, le « médecin des mineurs » écope d’une peine de quatre mois de prison ferme, qui couvre sa préventive. Aussi, à l’issue du procès, sort-il libre du Palais de Justice. Tous les autres inculpés seront condamnés, pour « violence et outrages à agents de la force publique, entraves à la liberté du travail et au bon fonctionnement des Houillères  » à des peines d’amendes ou de prison. Seuls deux grévistes seront relaxés.

Sur les pas de Benoît Broutchoux

Albert Versquel garde un souvenir ambivalent de cette «  lamentable et archaïque prison de Béthune », cette « villa aux milles barreaux  » moqué en son temps par l’anarcho-syndicaliste Benoît Broutchoux. Cependant ses camarades et lui la transformeront en « citadelle de chants, de lutte et d’espoirs . Nous étions devenus les maîtres des lieux. Nous avions fabriqué des couteaux avec les lames des ressorts de nos lits, avec lesquels on ouvrait toutes les cellules. On se baladait chez l’un, chez l’autre. Le soir, on se trouvait nombreux dans les cellules  ». De cette prison qui, chaque jour à 20h, vibre du son de l’Internationale, il avouera avoir beaucoup appris de la classe ouvrière qu’il forme au marxisme-léninisme…

Albert Versquel (quatrième à droite) à sa sortie de prison.

L’embastillement n’aura pas eu raison de la détermination d’un militant bien décidé à « continuer la lutte » pour obtenir la libération des dizaines de mineurs toujours détenus et l’amnistie de ces « victimes du capitalisme belliciste  » à l’instar de Victor Foulon ou Paul Caron, secrétaire de l’UD CGT du Pas-de-Calais. Il fait sien les mots d’ordre du PCF contre la remilitarisation de l’Allemagne de l’Ouest, s’inquiétant de la perspective d’une guerre dirigée contre l’URSS. Aussi ses adversaires ne le lâchent pas d’une semelle.

Suspendu un an !

A l’été 1949, c’est au tour de l’Ordre des médecins de lui appliquer une logique répressive de classe en lui interdisant d’exercer sa profession pendant un an ! Son crime ? Avoir, suite aux meurtrières catastrophes minières de Sallaumines (avril 1948) et d’Avion (septembre 1948), parlé dans la presse avec «  légèreté  » de certains de ses collègues. Des plaintes en diffamation ont été portées contre lui. La Fédération CGT du Sous-sol lui offre alors à Bruay-en-Artois un poste à celui qui continue d’alimenter La Tribune des mineurs de chroniques médicales. Plus tard, ce sera au tribunal militaire d’Arras de dégrader cet officier de réserve. Il ne sera réhabilité à titre posthume qu’en 2016 par François Hollande, le président de la République en personne.

Une « personnalité attachante »

Au début des années 1950, Albert Versquel s’installe comme médecin libéral à Nœux-les-Mines. Il se taille un joli succès auprès de la gent féminine pour son aptitude à populariser les méthodes d’accouchement sans douleurs. Une véritable révolution pour l’époque. En 1959, il devient maire de Noeux-les-Mines. Six ans plus tard, il renonce à se représenter pour consacrer plus de temps à sa passion pour l’écriture. On lui doit d’admirables et émouvantes pages – malheureusement jamais publiées - sur ce pays d’Artois qu’il aimait tant. Dans Poumons de pierre, il écrit toute l’affection qu’il porte aux mineurs, ces « êtres qui n’ont comme perspective qu’un labeur inlassable, sans espoir d’y échapper, rivés à la tâche comme père et grand-père, avec toujours la même menace de la mort par accident ou les poumons brûlés par la poussière qui tue... ». Ses contemporains en conserveront le souvenir d’une «  personnalité attachante, ouverte à tous »…