Les enfants des mineurs grévistes de l’automne 1948 pourront être indemnisés

La CGT salue un « immense succès »

par JACQUES KMIECIAK
Publié le 9 octobre 2020 à 12:22

Depuis la décision du Conseil constitutionnel déclarant contraire à la Constitution « la différence de traitement infligée aux enfants des mineurs grévistes de 1948 et 1952 », les descendants des victimes d’une impitoyable répression patronale et d’État peuvent prétendre bénéficier de l’indemnisation prévue par la loi de 2014.

Lors de la grève de l’automne 1948, des centaines de mineurs avaient été licenciés par les Houillères, alors que le droit de grève était reconnu par la Constitution. En décembre 2014, la loi dite « Taubira » reconnaissait le « caractère discriminatoire et abusif » de ces congédiements. Elle ouvrait droit à une allocation forfaitaire de 30 000 euros par salarié licencié, à condition toutefois que la demande ait été formulée, avant le 1er juin 2017, par le mineur concerné ou sa conjointe, auprès de l’Agence nationale pour la garantie des droits de mineurs (ANGDM). Après la promulgation de cette loi, « 227 demandes d’indemnisation nous avaient été transmises. L’ANGDM en avait alors refusées 91. Sous prétexte que le mineur licencié ou son conjoint étaient décédés et qu’ils n’avaient donc pu déposer de dossiers dans les délais imposés, leurs enfants ne pouvaient prétendre à cette réparation financière », souligne Raymond Frackowiak, le secrétaire général du syndicat CGT des mineurs du Nord-Pas-de-Calais. Au total, l’ANGDM n’avait satisfait que 78 demandes. Cinquante foyers avaient alors déposé un recours devant le conseil des Prud’hommes de Paris. Compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel, saluée comme un « immense succès » par la CGT, les Prud’hommes devraient leur donner gain de cause lors de l’audience du 24 novembre prochain. Mieux encore, de nouvelles demandes pourront, elles aussi, être examinées. L’ANGDM précise en effet que « la décision du Conseil constitutionnel a pour conséquence de supprimer la date limite pour déposer une demande. Aucune demande déposée depuis cette décision ne peut donc être rejetée sur le fondement qu’elle serait hors délai ». « D’ici la fin de l’année, l’État devrait dégager un million d’euros, et quatre millions supplémentaires en 2021 », assure Raymond Frackowiak.

Contacts : syndicat CGT des mineurs : 03 21 45 40 03 (le matin) / ANGDM, 110, avenue de la Fosse 23, 62 221 Noyelles-sous-Lens. Renseignements au 0321794848.

Émile Wazny (au premier plan), quelques années après la grève, place du Cantin à Lens.
© Mémoires et Cultures de la Région minière

Les descendants reprennent espoir

André Dufossé figure parmi les centaines de victimes de la répression patronale. André était décédé en 1972, son fils René, 82 ans, n’avait pu prétendre à l’allocation de 30 000 euros. Aussi a-t-il accueilli avec émotion la décision du Conseil constitutionnel. « Raymond Frackowiak m’a téléphoné pour me dire qu’on avait gagné. J’ai alors observé un temps d’arrêt, j’avais la gorge serrée. Aussitôt, ça m’a renvoyé à mon père », souligne-t-il. Résistant FTP, André Dufossé avait été maire d’Auberchicourt de 1944 à 1947. En octobre 1948, ce militant communiste est le délégué CGT à la fosse Sainte-Marie à Auberchicourt. « Mon père avait eu vent du comportement des CRS qui occupaient le Pas-de-Calais. Avec ses camarades, pendant la grève, il avait organisé le blocus du site et soudé la porte d’entrée. Quand les forces de l’ordre sont arrivées, les militants se sont éparpillés dans la nature. Pendant un mois, mon père a été recherché avec ses copains », commente René Dufossé. Un jour, il finit par être arrêté et conduit à Cuincy pour y purger une peine de 40 jours de prison. « Je me souviens être allé le voir un matin. Il était derrière un grillage. Je me demandais ce qu’il faisait là » souligne René. Libéré, « mon père a été livré à lui-même. Il a travaillé dans une ferme à Émerchicourt. Il nous rapportait des pommes de terre. Nous étions quatre enfants à la maison. Ce n’était pas facile. Ma mère se débrouillait comme elle pouvait. J’ai vécu ces évènements du haut de mes dix ans. On les a subis, mais je n’ai pas été malheureux. » Au bout d’un an, André Dufossé retrouvera du travail à la fosse Delloye à Lewarde. « Une prétendue faveur des Houillères parce que nous étions une famille nombreuse », poursuit René qui héritera de son père, « un vrai syndicaliste », le sens de l’engagement.

Les petits-enfants exclus du dispositif

Miette Zajac, 73 ans, vit aujourd’hui dans le Lot. Elle est la fille d’Émile Wazny, figure emblématique de la Fédération CGT du sous-sol, disparu en 2008. Émile Wazny avait été tabassé puis emprisonné à Béthune durant cette grève, licencié par le groupe d’Auchel et enfin menacé d’expulsion vers la Pologne. Miette Zajac a pris connaissance de la décision du Conseil constitutionnel « avec satisfaction ». Son dossier avait lui aussi été rejeté par l’ANGDM. Elle reprend aujourd’hui espoir, « pas pour l’argent qui pourra aider nos petits-enfants à mener à bien leurs études universitaires, mais pour le symbole que constitue la reconnaissance du préjudice subi par notre famille victime d’une injustice ». Les petits-enfants restent cependant exclus de ce dispositif. Salarié à la fosse 5 d’Auchel, Joseph Coffre a lui aussi été licencié à l’époque. « Son fils et ses deux filles étant décédés, nous ne pouvons prétendre à rien », explique Marcel Coffre, l’ex-maire de Marles-les-Mines, son petit-fils âgé de 71 ans.

Joāo Viegas, un avocat admiratif Membre d’un collectif d’avocats, qui porte, depuis 2008, les revendications des mineurs grévistes et de leurs descendants, João Viegas a plaidé la cause des enfants de mineurs devant le Conseil constitutionnel. Il salue « le travail formidable de la CGT mineurs, un combat de plusieurs décennies. Après avoir souffert pendant la guerre, reconstruit le pays, ce que ces mineurs ont vécu, alors qu’ils ne faisaient qu’exercer un droit de grève reconnu par la Constitution de 1946, était sordide. Je suis sidéré par la dignité et la grandeur de ce combat qui force l’admiration ». « C’est un grand succès d’autant que ce problème de différence de traitement avait été identifié très tôt. Mais une fois que Christiane Taubira a quitté le ministère de la Justice, ses successeurs n’ont plus daigné nous répondre », rappelle le communiste Dominique Watrin partie prenante de ce combat lorsqu’il était sénateur.