© Collection privée Florent Le Demazel
Documentaire

Les filles du textile

par JACQUES KMIECIAK
Publié le 21 janvier 2022 à 17:35

Après s’être notamment penché sur les mineurs de Méricourt et d’Avion, Florent Le Demazel consacre un documentaire aux « filles du textile » au programme de plusieurs salles du Bassin minier.

Nous sommes en 2019. Basée à Lens, l’Université populaire Mineurs du monde - Gauheria invite Florent Le Demazel à revenir sur l’itinéraire de ces centaines de femmes du « pays noir », qui, dès la fin des années 1960 en quête d’un mieux-vivre, gagneront les filatures de la métropole du Nord. « À l’époque, l’industrie textile du Nord souffre d’un manque de main-d’œuvre. Les frontalières belges s’en détournent à l’instar des filles du cru. Au même moment, dans le Bassin minier, la récession frappe à la porte. Les jeunes filles sont inemployées », précise Florent Le Demazel. Chargé de communication à la ville de Méricourt, ce Lensois de 35 ans accepte bien volontiers de relever le défi. Il se plonge alors dans les archives de l’INA, s’imprègne de l’œuvre d’Yves Decroix, auteur de films sur l’industrie textile, et relit Pierre Bourdieu ou Gérard Noiriel. Il enchaîne ensuite les interviews (une quinzaine) d’ouvrières du textile originaires de Lens-Liévin. La plupart des femmes interrogées ont exercé dans la métropole lilloise, d’autres à Levi’s (La Bassée) ou encore à l’usine K-way (Harnes). « Elles reviennent sur leurs motivations à s’embaucher à l’usine, se souviennent de la fatigue provoquée par les cadences », précise le documentariste.

Facteur d’exploitation et d’émancipation

Les horaires sont éprouvants. Elles se lèvent tôt pour prendre les « bus des mines » mis gratuitement à leur disposition par le patronat. « Mais elles évoquent aussi le soulagement d’échapper à la domination domestique du coron. Comme Bourdieu l’a démontré, le travail a deux facettes. D’un côté, les filles subissent l’exploitation, l’aliénation, le travail à la chaîne, mais d’un autre côté, elles sortent de l’isolement, développent le sens du collectif et apprennent la solidarité, la lutte. Le salaire qu’elles touchent est par ailleurs une source de valorisation et d’indépendance. Elles ont le sentiment de participer à la construction du foyer », prévient Florent Le Demazel. Cependant, pour la majorité de ces femmes, cette expérience professionnelle ne dure pas.

Source de frustration

En général, elle prend fin dès la naissance du premier enfant. « Il n’y avait pas de crèches à ce moment-là. Cela génèrera de la frustration de se retrouver isolées à la maison. Et lorsque l’enfant aura grandi, elles ne pourront reprendre le chemin du travail, les usines fermant les unes après les autres », rappelle l’auteur agréablement surpris « par la compréhension très fine que ces témoins avaient de leur situation, leur faculté d’autoanalyse ». Ce documentaire, qui fait la part belle aux images d’archives, rappelle aussi la contribution de la gent féminine, souvent invisibilisée, à la prospérité régionale. Ce n’est pas le moindre de ses mérites.

Les Filles du textile sera projeté à l’Arc-en-Ciel à Liévin (mardi 25 janvier à 19 h / 03 21 44 85 10), à l’Espace culturel « La Gare » à Méricourt (jeudi 3 février à 19 h / 03 91 83 14 85) et au cinéma Le Familia à Avion (mardi 8 mars à 19 h / 03 21 67 01 66). Entrée gratuite. Réservation conseillée.