© Kazerne Dossin Malines

Destins de déportés

par JACQUES KMIECIAK
Publié le 1er juillet 2022 à 16:47

L’ouvrage monumental consacré aux 9 000 déportés de France vers le camp d’extermination par le travail de Dora en Allemagne [1] a sorti de l’oubli des centaines d’itinéraires individuels. Et… suscité des vocations ! À Divion et Houdain, passionnés d’histoire locale ou parent de déporté tentent aujourd’hui d’approfondir des connaissances encore fragmentaires.

À Divion, une famille juive décimée

Le Club Histoire de la commune enquête sur le sort réservé à une famille divionnaise raflée par l’occupant durant la Seconde Guerre mondiale. De nationalité polonaise, Israël Woldsztajn a émigré en Meurthe-et-Moselle en 1922 pour y exercer dans les mines. En 1926, il est embauché par la compagnie de la Clarence. Il habite alors Divion. Quand débute la Seconde Guerre mondiale, il a pour compagne Marianne Bauerfreund, de deux ans sa cadette, et un fils Robert né d’une première union. Comme 528 Juifs du Nord-Pas-de-Calais, Israël, Marianne et Robert sont raflés le 11 septembre 1942 par l’occupant. Ils sont arrêtés par la Feldgendarmerie à leur domicile avant d’être transférés à Malines (Belgique), puis à Auschwitz en Silésie. Dès leur arrivée au camp d’extermination, Marianne et Robert, âgé de 14 ans, sont gazés. Israël échappe à ce funeste destin, pour être soumis au travail forcé. En janvier 1945, devant l’avancée des troupes soviétiques, il est évacué vers le camp de de Mittelbau-Dora, puis transféré au Kommando de Turmalin en Saxe et affecté à un chantier de construction.

Un oubli bientôt réparé

Israël Woldsztajn est bien revenu de déportation, mais « les archives ne permettent pas de savoir ce qu’il advient de lui après son retour en France », souligne-t-on du côté du Mémorial de la Shoah à Paris. Le Club Histoire de Divion s’interroge sur la façon dont cette famille vivait sa judaïté loin du Lensois où étaient concentrés la plupart des Juifs du Bassin minier. Il a aussi lancé un appel à témoins pour déterminer si Israël a bien regagné sa ville d’adoption à la Libération. Ses animateurs se sont surtout rendu compte que les noms de sa compagne et de son fils ne figuraient pas sur le monument dédié aux victimes de la Seconde Guerre mondiale. Un oubli que la municipalité s’est engagée à réparer. La communiste Émeline Delplanque, élue d’opposition, a suggéré que cette reconnaissance officielle du martyre de cette famille, soit effective le 11 septembre prochain à l’occasion du 80e anniversaire de la fameuse rafle. Elle revendique tout autant la mise en place d’une commission d’enquête afin de déterminer la responsabilité de la municipalité d’alors et de la police locale dans l’arrestation de ces trois Divionnais. Affaire à suivre…

À Houdain, l’itinéraire atypique d’Edmond Grochowicki

Petit-neveu d’Edmond Grochowicki (1917-1994), l’Houdinois Freddy Gras tente de retracer le parcours de son parent, militaire de carrière déporté à Dora.

Freddy Gras s’est vu offert un exemplaire de l’ouvrage sur Dora à La Coupole.
© Freddy Gras

Né dans la Ruhr en Allemagne, Edmond Grochowicki accompagne sa famille qui émigre « en Belgique puis en France en 1922. À une date qui m’est inconnue, elle s’installe à Houdain », souligne Freddy Gras. Ignorant jusqu’à la parution de cet ouvrage tout ou presque du cheminement de son grand-oncle, il s’est pris au jeu de la recherche historique.

Questions en suspend

À 18 ans, Edmond Grochowicki s’engage dans la Légion étrangère. Le fait-il pour échapper à une sanction suite à un délit ? Ou par souci de s’affranchir de l’enfer de la Mine ? Ou encore animé du désir de s’offrir une situation stable à l’heure des retours en Pologne imposés à ses compatriotes en ces temps de récession économique ? Freddy Gras avoue ne pas le savoir. En 1940, alors caporal en Algérie, Edmond Grochowicki acquiert la nationalité française. Plus tard, admis dans une école militaire à Tarbes, il est nommé sous-lieutenant. En mars 1943, il est placé en congé d’armistice. Il envisage alors très vite de gagner l’Espagne pour rejoindre les Forces françaises libres en Afrique du Nord. Cependant, le 18 mai 1943, la Gestapo l’arrête à Port-Vendres (Pyrénées-Orientales). Il est déporté à Buchenwald puis affecté à Dora, « contraint de vivre et de travailler dans de terribles conditions dans ou autour de l’usine souterraine destinée à assembler les fusées secrètes A4-V2 », selon Bernard Doncker, auteur de sa notice biographique.

Un homme cultivé

Au printemps 1945, libéré, il poursuit sa carrière militaire et participe aux campagnes d’Indochine et d’Algérie. Freddy Gras se souvient avoir croisé une fois Edmond Grochowicki qui vivait dans la région lyonnaise : « Il était très cultivé, connaissait plusieurs langues, peignait. Il était capable de se déplacer jusqu’en Italie pour vérifier une information sur une œuvre… Il jouait aussi du violon. » Ravi qu’il sorte de l’oubli, Freddy Gras est disposé à fournir des détails sur la vie de son grand-oncle aux historiens, qui, sous la houlette de Laurent Thiery, planchent désormais sur une version numérique de l’ouvrage sur les 9 000 déportés de Dora.

Notes :

[1Le Livre des 9 000 déportés de France à Mittelbau-Dora, sous la direction de Laurent Thiery, éd. Le Cherche midi, 2 456 pages, 49 euros.