Pawel Sekowski était soucieux d’aborder cette période (1944-1949) qualifiée de « charnière » de façon exhaustive en « la traitant dans l’ensemble de ses dimensions tant sociale que politique et culturelle », précise-t-il. Lorsqu’il entame sa thèse de doctorat à la Sorbonne, son ambition est de poursuivre l’œuvre de Janine Ponty, « la » spécialiste de l’immigration polonaise en France, auteure d’un ouvrage qui continue de faire autorité pour l’entre-deux-guerres [1]. Sur la foi d’archives françaises, polonaises et britanniques, Pawel Sekowski s’interroge sur les facteurs qui vont précipiter l’intégration des Polonais dans la société française à l’heure où les conditions matérielles d’un retour au pays n’auront jamais été aussi favorables.En effet, de 1946 à 1948, quatre accords franco-polonais encouragent le rapatriement en Pologne de ces mineurs, métallurgistes ou ouvriers agricoles présents depuis les années 1920 en France, et notamment dans le Nord-Pas-de-Calais.
Cette région concentre encore, à la Libération, un tiers de la population polonaise de l’Hexagone riche de 423 000 membres. Les candidats au départ sont assurés de la gratuité du voyage et de trouver à leur arrivée au pays de Mickiewicz, un logement et un emploi. Or seuls 62 000 Polonais (soit environ 15 % d’entre eux) acceptent l’invitation des dirigeants de la Pologne populaire soucieux de reconstruire un pays ravagé et de poloniser les terres (Basse-Silésie, Poméranie) dont les Allemands ont été chassés.
La main tendue de la IVe République
Pour Pawel Sekowski, c’est moins l’hostilité d’une partie de la communauté à l’endroit d’une Pologne populaire qu’elle considère inféodée à l’URSS, que les conditions nouvelles proposées par l’Hexagone, qui explique ce choix de l’enracinement. Selon lui, « le conflit profond déchirant, à la Libération, la communauté polonaise de France entre les partisans du gouvernement polonais de Varsovie (dominé par les communistes et reconnu par les Alliés) et les anticommunistes de toutes couleurs a été gagné par... Paris et son offre d’intégration sociale ».
La main tendue de la IVe République aux étrangers dans le contexte de la Bataille du charbon, s’est traduite par « un accès facilité à la nationalité française grâce au nouveau Code de nationalité de 1945 ou encore l’égalité de traitement des travailleurs polonais avec les Français (Sécurité sociale, allocations familiales, pensions de retraite) ». Pawel Sekowski rappelle aussi le rôle de la « seconde génération » dans l’accélération de ce processus d’intégration. Ces Polonais nés en France ou qui y sont arrivés en bas âge, « étaient déjà pleinement intégrés dans la société française », et peu en phase avec les« préoccupations liées au pays d’origine de leurs parents déjà eux aussi fortement influencés par la France, sa culture ». Paradoxalement, les facteurs du maintien de la polonité (enseignement du polonais, persistance du sentiment religieux et densification d’une vie associative propre) ne ralentiront pas ce processus dans la mesure où « le but principal de cette vie associative et de ces institutions, est la promotion sociale au sein de la société du pays d’arrivée, et non plus le maintien du lien avec le pays d’origine ».
Une intégration qui questionne le modèle français
Pawel Sekowski imagine que « la conservation d’éléments de la culture polonaise, était indispensable pour rendre ce processus d’intégration vraiment profond et irréversible ». À cette époque, les Polonais de France deviennent des Français d’origine polonaise... dont la capacité d’intégration sera mise sur un piédestal trente années plus tard, à la faveur de la récession affectant l’économie capitaliste. Plutôt surprenant quand on sait que ces Polonais « ont été souvent présentés, dans l’entre-deux- guerres et même au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, comme difficilement assimilables ». Et notre chercheur de conclure que « l’histoire de l’intégration des immigrés polonais en France peut apporter de l’espoir à l’heure où le modèle français est remis en cause ».
Les Polonais en France au lendemain de la seconde guerre mondiale (1944-1949). Histoire d’une intégration, par Pawel Sekowski. Sorbonne université presses, 456 pages, 25 euros.