EN PÉVÈLE

Janvier Courtecuisse, paysan et résistant

Publié le 15 décembre 2017 à 10:00 Mise à jour le 8 décembre 2018

A Templeuve, une rue porte son nom. Mais bien peu savent le rôle important que Janvier Courtecuisse, modeste paysan et militant communiste, joua dans la lutte contre le nazisme. Entretien avec l’historienne Monique Heddebaut.

Comment expliquer l’engagement de Janvier Courtecuisse ?
Ce paysan à la tête d’une modeste exploitation ne s’en est guère expliqué : c’était un « taiseux ». C’était un homme cultivé qui lisait beaucoup. Et s’il a été le dernier à Templeuve à utiliser des bœufs pour la culture, il a été le premier à avoir la télé. Il a rompu avec l’Eglise catholique, ainsi que sa famille, tout en restant un homme de dialogue. Né en 1875, il n’a pas été mobilisé pendant la Grande Guerre pour des raisons médicales. Resté à Templeuve, en pays occupé, il a connu les restrictions et les réquisitions édictées par les Allemands, mais aussi les exécutions de deux Templeuvois de sa génération pour espionnage en 1917. On peut donc parler d’une « culture de guerre ».

Pourquoi le Parti communiste, devenu clandestin en août 1939, a-t-il fait appel à Janvier Courtecuisse ?
Le Parti communiste qui est interdit depuis le 26 septembre 1939, tente de se réorganiser dans la clandestinité et d’assurer la continuité de la direction. Jacques Duclos qui a été déchu de son mandat de député, séjourne clandestinement en Belgique à partir du 5 octobre 1939. Martha Desrumaux, Henri Colette et sa fille Jeanne ont alors la responsabilité de faire passer la frontière franco-belge aux militants. Elle se tourne alors vers Janvier. Déjà avant-guerre, Janvier Courtecuisse était connu et reconnu comme un militant sûr.
Jacques Duclos arriva ainsi à Templeuve le 6 octobre 1939 avec Eugen Fried, le représentant de l’Internationale communiste. Les deux hommes restèrent deux jours à la ferme avant de partir secrètement pour Paris. Cette réunion de Templeuve marque une date décisive pour la reconstitution des directions fédérales dans le Nord-Pas de Calais.

Comment était organisée la « planque templeuvoise » ?
La ferme de Janvier était isolée à l’écart du village, entourée de jardins, de pâtures et de haies. Un réseau de planques pour les réunions, pour héberger les militants et pour le matériel, s’est mis en place. Janvier Courtecuisse et Alphonse Herbaut, son proche voisin, travaillaient de concert. Ce cheminot communiste travaillait aux Ateliers d’Hellemmes et militait à la CGT. Janvier hébergeait les dirigeants du PCF et les Francs-tireurs et partisans (FTP). Alphonse accueillait les dirigeants de la Jeunesse communiste.
La ferme des Courtecuisse servait de position de repli pour ceux qui effectuaient sabotages et actions diverses. Florent Herbaut, le fils, faisait le guet pendant les réunions. Et pour sortir les illégaux de la ferme, Janvier les cachait dans le fond de son « barou » [1] recouverts de paille.

Qui est passé par la ferme de Templeuve ?
Martha Desrumaux a réussi à tenir la réunion du premier collectif formant la direction fédérale le 17 juillet 1940 dans la ferme de Templeuve. Elle était assistée de Joseph Hentgès, l’ancien maire d’Hellemmes, Louis Lallemand, Henri Fiévez - des habitués de la ferme -, Emile Patiniez, Siméon Leroy et Gustave Lecointe. L’organisation clandestine était bien en place à l’automne 1940.

Mais Janvier Courtecuisse héberge aussi ceux que les Allemands qualifient de « terroristes »...
Dans la nuit du 15 au 16 octobre1941, trois hommes parmi les plus actifs et les plus recherchés, Fernand (Eusebio Ferrari), Max (René Denys) et Jean (Tadeusz Cichy) ont tenté de dynamiter le pylône n° 95 d’une ligne à haute tension qui alimentait les usines de la banlieue est de Lille près d’Annappes. Florent Herbaut était à leurs côtés. Eusebio lui avait demandé de fabriquer un système à retardement pour la mise à feu des détonateurs. Mais cette nuit-là est tombée une pluie diluvienne qui a noyé le dispositif. Ils ont ensuite regagné Templeuve où Janvier Courtecuisse les a cachés. Eusebio Ferrari, selon Marie, la femme de Janvier, se sentait comme chez lui à la ferme : il y avait ses habitudes. Parmi tous ceux qui sont passés par la ferme, beaucoup ont été emprisonnés, torturés, déportés ou exécutés : Martha Desrumaux déportée à Ravensbrück, René Denys, Tadeusz Cichy, Eusebio Ferrari, abattus, Joseph Hentgès fusillé comme otage. Les deux fils d’Henri Martel, Aimable et Germinal, ont également été fusillés. Eugen Fried a été assassiné à Bruxelles en août 1943.

« Une autre fois les Allemands sont arrivés à la ferme pour une perquisition. Sur le seuil de sa porte, avec un aplomb extraordinaire, Janvier les a invités à entrer dans la maison... »

Janvier et sa famille ont donc pris des risques considérables ?
Une voisine a bien failli les faire tomber. Elle a aperçu les Allemands près de la ferme et elle a cherché à attirer leur attention. Peut-être que les Allemands n’ont pas compris ce qu’elle disait. La dame trop volubile a été sévèrement mise au pas. Le secteur était surveillé, d’autant que des résistants communistes avaient lâché des informations sous la torture. Une opération avait été programmée le 4 juillet 1942 par les Français et les Allemands, de Fives jusqu’à Lesquin. A Templeuve, ils ont fouillé la maison des Herbaut. Florent est arrêté pour la détention d’un tract communiste. Incarcéré, puis envoyé en juillet 1943, au camp de Watten-Eperlecques, il a réussi à s’échapper avec Roger Debruycker, Désiré Bauduin et un autre camarade de Lesquin. Une autre fois les Allemands sont arrivés à la ferme pour une perquisition. Sur le seuil de sa porte, avec un aplomb extraordinaire, Janvier les a invités à entrer dans la maison. Devant une telle assurance ils se sont dirigés vers les hangars, l’étable, où, bien sûr, ils n’ont rien trouvé. Les résistants cachés dans la maison ont pu s’enfuir vers la ligne de chemin de fer qui surplombait la maison.

Quelle a été la réaction du voisinage et de la population ?
L’engagement de Janvier n’était pas passé inaperçu. En 1939 Templeuve ne comptait pas moins de sept cellules locales et une centaine de membres. Une rumeur courait selon laquelle les Russes lançaient des lingots d’or au-dessus de la ferme Courtecuisse. Mais vigilant et homme de principes, Janvier veillait à vendre au juste prix ce qu’il produisait. Achille Willemo, un agriculteur qui avait été nommé maire de Templeuve pendant la durée de la guerre, a été très prudent, vraisemblablement en minimisant le rôle et la portée de l’action des communistes, selon Elie Maléri, l’ancien correspondant de Liberté. Il n’a dénoncé personne. On peut donc parler de complicités silencieuses. Il en reste pas moins que, tenir ainsi durant les quatre années d’occupation et assurer la sécurité d’une trentaine de dirigeants illégaux, est une prouesse.

Qu’est devenu Janvier Courtecuisse après-guerre ?
Il a été élu conseiller municipal de Templeuve en mai 1945. Lors de l’installation du nouveau conseil, il a prononcé un discours au nom de la cellule « Janvier et Marie Courtecuisse ». Il a fait partie de plusieurs commissions, dont celle consacrée à l’agriculture. Il a été décoré de la médaille du Mérite agricole. Mais il n’a guère assisté aux réunions, vu son âge. Il est décédé à 94 ans, d’usure, de vieillesse. Jacques Duclos n’avait pas oublié la planque templeuvoise et ce que Janvier avait fait pour lui et ses compagnons de la Résistance. Une photo prise en 1962 marque ces retrouvailles : on reconnaît Janvier entouré de Jacques Duclos, Arthur Ramette, Gustave Ansart et Alphonse Herbaut.

Janvier Courtecuisse en famille au début des années 1960, avec son épouse Maria et Jacques Duclos, dirigeant national du PCF clandestin durant la guerre.

Notes :

[1En rouchi : tombereau, charrette, véhicule à deux roues...