Photo d'archives/DR

Joseph Hentgès, 80 ans déjà…

par JEAN-LOUIS BOUZIN
Publié le 24 mars 2022 à 19:10

Le 14 avril 1942, 35 résistants et otages sont fusillés au Vert-Galant à Wambrechies. Parmi eux, Joseph Hentgès, figure emblématique du mouvement ouvrier, co-fondateur du Parti communiste dans le Nord.

Il se prénommait Joseph comme son père venu de Westphalie. Il était né en 1875. Sale époque pour les enfants d’ouvriers, de « vulgaires outils [1] » pour le capitalisme. À 12 ans, Joseph Hentgès part trimer aux Cotonnières de Wasquehal. Sans doute le rêve d’une autre vie le pousse bien vite à changer d’air. À 15 ans, il va voir du côté de Cambrai, accueilli par la famille de sa mère décédée cinq ans plus tôt. Il vit de petits métiers, puis va voir plus loin. Le voici garçon de café à Paris. Pas longtemps. À 18 ans. il revêt l’uniforme de l’armée qui, cette fois, l’expédie très loin : au Tonkin ! Démobilisé, Joseph redevient parisien, se marie, embauche comme peintre à la Compagnie des chemins de fer du Nord, se syndique à la CGT, s’encarte au Parti ouvrier français. En 1904, une mutation le ramène dans le Nord, aux ateliers d’Hellemmes. Là, pas de syndicat. Joseph Hentgès en crée un.

Le cheminot « révoqué » devient maire d’Hellemmes

Octobre 1910, la grève du rail éclate. Pas de salaires en dessous de cinq francs par jour, réclament les cheminots. Le mouvement restera dans les annales. Joseph, l’un des « meneurs » en région lilloise, reçoit un courrier de la direction, aussi bref que brutal : « Monsieur, je vous informe qu’à partir de ce jour, vous ne faites plus partie du personnel. » ! 3 300 cheminots sont ainsi « révoqués », en clair jetés à la rue. Joseph Hentgès a cinq enfants. Pour les nourrir, il se fait vendeur ambulant de café. Sa soif de justice l’amène à figurer sur la liste socialiste et ouvrière aux municipales de 1912 à Hellemmes. Le vote des cheminots et métallos de l’Usine de Fives pèse lourd dans les urnes. Le « révoqué » Joseph Hentgès devient maire, et, dans la foulée, conseiller général.

1914, résistant déjà…

Joseph vient à peine d’entamer ses mandats que la guerre pointe à l’horizon. Jaurès assassiné, des millions d’hommes vont s’entretuer quatre ans durant. Hellemmes est occupée. Joseph Hentgès, maire courage, résiste aux autorités allemandes, qui le placent sur une liste d’otages dès novembre 1914, l’emprisonnent à Loos en décembre 1916, puis deux fois encore en 1917. Il est finalement destitué de son mandat, qu’il retrouve aux élections de 1919. Entre-temps, la révolution d’Octobre en Russie a ébranlé le monde. Joseph Hentgès s’enthousiasme. Avec Clotaire Delourme, il lance, en février 1920 à Hellemmes, le journal Le Prolétaire dont l’audience devient régionale. Délégué au congrès de Tours du Parti socialiste en décembre, Hentgès opte pour la motion majoritaire qui donne naissance au Parti communiste et, dès janvier 1921, à la Fédération communiste du Nord. Il en devient le trésorier, puis le secrétaire. Aux municipales de1925, retour de bâton... La SFIO (les « minoritaires » de Tours) s’arrange avec la droite pour faire battre Joseph Hentgès. Chômeur, il trouve alors un emploi à la mairie de Seclin, puis ouvre un petit commerce de peinture-droguerie. Côté communiste, les premières années du jeune parti s’avèrent mouvementées. Joseph est contraint, en 1929, de fuir en Belgique pour éviter l’arrestation ! La suite est connue : marches des chômeurs du Nord de 1931, victoire du Front populaire, solidarité avec la République espagnole, lutte contre le fascisme qui ronge l’Europe, Et puis, le coup de massue : septembre 1939, la guerre et le PCF interdit. Second coup de massue : la défaite militaire française foudroyante en mai 1940.

« Jamais je n’ai été plus confiant en l’avenir » écrit-il à son fils

Le Nord-Pas-de-Calais vit sous la botte nazie. La population est groggy. Aussi, faut-il bien du courage à cette poignée de militants, dont Joseph Hentgès, pour oser poser les premiers jalons de la résistance communiste. Le préfet Fernand Carles fait surveiller Hentgès de près. Le Service de renseignement allemand (le SD) s’appuiera sur les enquêtes de la police française pour décider ultérieurement de son sort : « ...doit être considéré comme dangereux à cause de son influence. Selon le jugement de la police française, Hentgès n’a pas changé son attitude politique. Il a encore reçu des personnes dans son appartement, qui toutes sont soupçonnées fortement comme propagandistes communistes clandestins [2]. » Face à la montée de la résistance communiste qui vise désormais des officiers nazis, un coup de filet s’abat, le 27 août 1941, sur quelque soixante-dix militants dont l’ancien maire d’Hellemmes. Interné à Lille, Hentgès vit sous la menace de l’exécution. Il n’en perd pas son sang-froid : « J’en suis à mon 124e jour de captivité en parfaite santé et, tu n’en doutes pas, avec un moral excellent, écrit-il le 29 décembre à son fils aîné. C’est que, vois-tu, si jamais je n’ai douté de l’issue finale de la bataille gigantesque qui est en cours, jamais je n’ai été plus confiant en l’avenir qu’en ce moment (…) 25 des nôtres dont 7 pris ici parmi nous en l’espace de 10 jours, furent passés par les armes... » Transféré à Huy en Belgique, Hentgès est ramené, le 13 avril, à la prison de Loos avec Honorat Bouillet et Léon Strady, tous trois « bousculés à coups de poing et de botte [3] ». Lucien Détrez, curé de Notre-Dame-de-la-Treille à Lille, se sentira obligé, en 1945, de souligner l’attitude exemplaire du communiste Hentgès : « Il a, par son esprit de justice et par sa bonté, conquis le cœur de tous ceux qui l’approchent ; son âge vénérable, ses éminentes qualités, son passé chargé de travail et de bons services lui confèrent un ascendant manifeste sur ses compagnons de chaîne. Jusqu’à la minute suprême son contagieux stoïcisme leur est un prodigieux soutien [4]... » Le mardi 14 avril, la journée s’annonce exceptionnellement belle et des hommes, pourtant, vont mourir. Dans une allée du fort du Vert-Galant à Wambrechies, Joseph Hentgès est passé par les armes avec trente-quatre autres patriotes, tous communistes. Il avait 67 ans. À la Libération, les Hellemmois éliront son fils Pierre maire de leur ville.

Sources : Le Maitron, archives Serge Delmas et BiMoi.

Samedi 2 avril, hommage aux fusillés du Vert-Galant L’hommage aux fusillés du fort du Vert-Galant à Wambrechies n’avait pu se dérouler dans des conditions normales depuis deux ans pour cause sanitaire. Cette année, le public sera admis à participer. La cérémonie est donc prévue samedi 2 avril, rendez-vous à 10 h 45.

Notes :

[1Victor Hugo.

[2Dans Le livre des otages, Serge Klarsfeld.

[3Témoignage d’Edouard Van Lieuwen (source Jean-Marie Fossier).

[4Quand Lille avait faim, du Chanoine Détrez, livre paru en 1945.