Lorsqu’en juin 1940, le IIIe Reich place le Nord-Pas-de-Calais en « zone interdite » directement rattachée au commandement militaire de Bruxelles, les Polonais constituent encore un tiers des effectifs des Houillères. La Pologne désormais rayée de la carte, ces 42 000 mineurs de charbon sont devenus des « sans État » (« Staatenlos »). Pour l’historien Étienne Dejonghe, les nazis constatent alors « le désarroi d’une colonie, non encore assimilée, dont la plupart des membres n’étaient pas naturalisés et qui, déçue dans ses espérances sociales, en butte à la xénophobie de la population minière, pouvait, pensaient-ils, être facilement noyautée ». L’association Volksdeutsche fondée en mars 1942 est censée favoriser ce dessein dans la mesure où bon nombre de ces Polonais sont de culture allemande pour avoir jadis travaillé dans la Ruhr (Westphalie) ou être originaires de Poznanie ou de Silésie, terres teutonnes avant que la Pologne ne recouvre son indépendance en 1918.
Un réseau d’indicateurs
Dans le Bassin minier, à Auchel, Dechy, Billy-Montigny, Marles-les-Mines, Somain, Lens, Sallaumines ou Waziers, les rassemblements de Volksdeutschen se multiplient ; des sections éclosent. À son apogée, en septembre 1943, l’organisation revendiquera 5 500 membres. Sa direction est confiée à un dénommé Muller de la Kreiskommandantur (administration militaire) de Douai où son siège a été établi, rue Faidherbe. L’occupant espère puiser dans ce vivier des renforts susceptibles de garnir les rangs de la Wehrmacht ou de la Waffen-SS. Il tente surtout de s’assurer un réseau d’indicateurs parmi la population locale, capable de le renseigner de l’intérieur sur l’activité de ses adversaires. Des francs-tireurs et partisans (FTP) seront ainsi dénoncés par ces zélés collaborateurs. La Résistance communiste en fera donc, très vite, des cibles de choix. François Kaczmarek, mineur à la fosse 6 de Fouquières-lès-Lens, est l’un des premiers à être exécuté par ses soins le 23 juillet 1942.
Un régime de faveur !
Le Volksdeutsche jouit d’un régime de faveur vis-à-vis des nationaux français. Il lui est promis un salaire majoré de 25 %, un accès prioritaire au logement ou à l’emploi, des facilités de ravitaille- ment particulièrement appréciées en ces temps de pénurie, et plus officieusement la possibilité de se livrer au marché noir sans être soumis aux foudres des autorités françaises ! Enfin, il lui est donné l’assurance de récupérer des arriérés de pension pour le travail effectué dans les mines de Westphalie. La propagande allemande sait exploiter un sentiment de frustration particulièrement vif. L’occupant affirme ainsi que « la France les a considérés comme des bêtes de somme » et « n’a pas voulu reconnaître leurs services puisque beaucoup se sont vu refuser la nationalité française ». Pour ces Polonais qui appréhendaient l’Hexagone comme un Eldorado, pour finalement y perdre leur santé dans le bagne de la mine, l’heure de la revanche aurait ainsi sonné.
Au fond des puits, même les porions (contremaîtres) si méprisants d’ordinaire à leur encontre, sont contraints de supporter l’arrogance de ces collaborateurs qui « n’hésitent pas à saisir le moindre prétexte pour se plaindre aux autorités allemandes des mauvais traitements que leur font subir les compagnies ». Dans Croix de Guerre, l’ex-dirigeant communiste et maire de Lens Auguste Lecœur écrira que les Volksdeutschen réussiront « parlant allemand, à se faire utiliser comme porte- parole des mineurs auprès de l’occupant et leurs méfaits jettent la suspicion sur l’ensemble des Polonais ». Les motivations d’ordre idéologique restent plus difficiles à mesurer. À l’été 1942, le sous- préfet de Douai prête plus largement à l’occupant des ambitions annexionnistes : « On peut craindre qu’à un moment donné l’Allemagne ne dit que le Nord renferme beaucoup de sujets germaniques (Flamands, Polonais, Ukrainiens...) et qu’un référendum ne soit exigé. » L’enjeu : le rattachement de la « zone interdite » au IIIe Reich !
Vers l’homme nouveau !
En principe, ce statut est un état transitoire censé durer six mois au terme desquels, s’il est démontré que le Volksdeutsche est lié au peuple allemand par des rapports de consanguinité et qu’il jouit d’un bon état de santé, il acquiert la nationalité allemande et la qualité de Reichsdeutsche. Difficile de dire combien en bénéficieront. Qu’importe, l’Allemagne lui offre l’opportunité d’une reconnaissance et d’un nouveau destin fondé sur« la discipline, l’esprit communautaire et... de sacrifice ». Une préfiguration, en quelque sorte, de l’homme nouveau ! Étonnant quand on sait que les nazis considéraient les Slaves comme des sous- hommes (Untermenschen)...
En 1944, la déroute allemande allait précipiter la chute de ce mouvement atypique. Dès 1943, les plus malins, sentant le vent tourner, gagneront les rangs de la Résistance... Plus tard, d’autres accompagneront la Wehrmacht dans sa retraite. À la Libération, la majorité d’entre eux, frappés par une mesure d’internement administrative, sera relaxé. Faute de preuves ! Leur maintien dans les mines sera d’ailleurs une source de vives ten sions. Peu finalement écoperont d’une peine d’emprisonnement ou feront l’objet d’une mesure d’expulsion vers la Pologne populaire pas vraiment pressée d’accueillir des « traîtres à la patrie ». D’autres enfin seront « éloignés » dans diverses régions de France... Appartenant au camp des vaincus, ces laudateurs du national-socialisme sont, ici, très vite évacués de la mémoire collective. Leur action a terni l’image de la communauté polonaise du Nord-Pas-de-Calais. On préfère, à la Libération, vanter la fraternité d’armes, qui aurait uni Français et Polonais dans un même élan d’opposition à l’occupant allemand et ses alliés vichystes. Une image d’Épinal qui perdure...