Sous l’impulsion d’un petit groupe d’historiens locaux rassemblés autour d’Henri Lecuppre, Frédéric Damien et du maire de Poix-du-Nord, Jean-Pierre Mazingue, un événement méconnu a récemment été mis en lumière : dix Tsiganes furent raflés le 24 décembre 1943 dans ce village et déportés. Des familles de vanniers, les Yung, Koecler et Polet, stationnaient là avec leurs cinq enfants. Ils furent arrêtés au petit matin par les Feldgendarmes secondés par les forces de la police française. Seule la « grand-mère Polet » et ses deux cadets de 14 et 12 ans, présents ce jour-là, ne durent leur salut qu’en fuyant en direction de Vendegies-au-Bois. Les autres furent rapidement transférés à la prison de Loos, puis au camp de Malines en Belgique pour être finalement déportés à Auschwitz-Birkenau.
La plus jeune avait 3 ans
Cette opération était menée sur ordre de Berlin : notre région avait en effet été détachée en juin 1940 du reste de la France occupée pour constituer avec la Belgique une zone spécifique qui dépendait de Bruxelles sous les ordres directs des nazis. En décembre 1942 avait été prise la décision de déporter les Tsiganes du Reich, jugés asociaux et indésirables, et en mars 1943 celle de rafler ceux du Nord, de la Belgique et des Pays-Bas. C’est ainsi que, le 15 janvier 1944, 351 Tsiganes ont quitté Malines, qui était l’équivalent du camp de Drancy pour le reste de la France. Ce convoi est connu sous le nom de « Convoi Z » (Z pour « Zigeuner », Tsigane en allemand). Les arrivants ont été parqués dans le camp des familles, condamnés à une mort lente, victimes des expérimentations, des épidémies et de la faim. Femmes et fillettes à partir de 11 ans étaient stérilisées. Le projet du « bourreau » était d’empêcher toute descendance, ce qui peut être considéré comme un génocide à retardement. L’élimination rapide de ceux qui ne résistaient pas dans l’univers concentrationnaire permettait de sélectionner les plus solides et de mettre à disposition une main-d’œuvre gratuite au service de l’industrie de guerre.
Seuls 32 personnes parties de Malines ont survécu à ce transfert, soit moins de 5 %. Mais aucun des Tsiganes de Poix-du-Nord n’est rentré. La plus jeune, Georgina Koecler, avait 3 ans. Irma Polet-Koecler, qui a provisoirement survécu à ces conditions extrêmes, avait été jugée apte au travail et envoyée à Ravensbrück, où elle a péri, victime de l’esclavage-extinction.
Une mémoire longtemps occultée
Le groupe de travail qui a œuvré pour cette commémoration à Poix-du-Nord a souhaité impliquer les habitants de la commune avec différentes manifestations. Des photos inconnues ont été découvertes, des témoignages ont été rassemblés à cette occasion avec constitution des généalogies de ces familles bien implantées dans l’Avesnois. Une exposition pilotée par Monique Heddebaut, « Les oubliés de l’histoire », a été présentée au public et aux scolaires, complétée par une conférence sur le « Convoi Z » et le film : Mémoires tsiganes, l’autre génocide. Mais le moment le plus solennel et le plus chargé d’émotion fut sans conteste le dévoilement de la stèle à côté du monument aux morts, avec les noms des dix victimes, gravés dans la pierre bleue, en présence des familles et d’un public venu nombreux. La sous-préfète d’Avesnes-sur-Helpe, Corinne Simon, la députée Anne-Laure Cattelot, le président de la communauté de communes du Pays de Mormal, Guislain Cambier, saluèrent l’initiative et rappelèrent dans leur discours que les valeurs républicaines furent bafouées par une idéologie nauséabonde durant la Seconde Guerre mondiale. L’autre point d’orgue de ces manifestations : la chorale de Poix-du-Nord et des enfants interprétèrent et chantèrent le Chœur des esclaves de Nabucco et la chanson du générique du film de Tony Gatlif Liberté, composée par Catherine Ringer du groupe Rita Mitsouko. Rappelons que la mémoire de cette déportation a été longtemps occultée, à l’exception de Landrecies dans les années soixante, à Flers-en-Escrebieux en 2012. D’autres communes pourraient s’associer à ce travail de commémoration car d’autres rafles de Tsiganes eurent lieu dans le Pas-de-Calais à l’automne 1943, à Frévent, Vimy et Hénin-Liétard (aujourd’hui Hénin-Beaumont).