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Photo d'illustration/Pixabay

Les Jours heureux ou la « Révolution jusqu’à la perfection du bonheur »

Publié le 28 janvier 2022 à 10:33

L’avocate lensoise Me Marianne Bleitrach vient de saisir, à juste titre, le parquet de Paris d’une plainte, une de plus, pour les propos inadmissibles, anti-constitutionnels, haineux que l’histrion Zemmour vient de tenir à propos de la scolarisation des enfants handicapés. On saluera le courage professionnel et politique de cette avocate toujours aux côtés des plus démunis et je l’assure de mon respect, de mon soutien et de ma solidarité. Dans ses propos, elle rappelle avec émotion l’expérience de la solidarité qu’elle a rencontrée auprès des professeurs et surtout des élèves au milieu desquels elle a pu réussir une scolarité accomplie. J’ai consacré ma vie d’enseignant puis celle d’inspecteur chargé du handicap ou de la scolarisation des exclus de toute sorte de notre système éducatif à faire que chaque enfant accueilli trouve à l’école les conditions de son émancipation et qu’il puisse ainsi accéder pleinement à l’exercice de ses droits de citoyen. J’ai toujours considéré que cette ambition était en quelque sorte un « droit naturel de l’homme ». Et la mémoire de Georges Couthon, cet autre avocat, ami de Robespierre, handicapé lui-même, et membre du Comité de salut public agissant pour que la Nation vienne à l’aide de la personne « infirme », m’est toujours présente et fidèle. Dans toute ma carrière, je n’ai pas connu d’enseignant hostile à l’accueil des élèves handicapés dans sa classe. Je n’y ai rencontré que des professionnels démunis pour offrir à ces enfants les meilleures conditions possibles de leur instruction et qui réclamaient que ces moyens fussent à la hauteur des besoins. Il ne faudrait pas que l’abjection légitime des propos de M. Zemmour - qui cherche à nous ramener au temps de Pétain où l’on laissait mourir de faim les malades mentaux dans les asiles (Camille Claudel mourut ainsi) - nous fasse oublier que les conditions d’une émancipation scolaire et citoyenne des élèves handicapés ou à « besoins particuliers » dans notre pays soient pleinement accomplies. Beaucoup reste à faire. Tout le monde n’a pas la « chance » que semble avoir connue Me Bleitrach. Et les parcours des personnes handicapées sont toujours semés de nombreux obstacles que ce soit à l’école ou dans la vie. Des pages entières y suffiraient-elles, quand il s’agit de trouver une place en établissement de soins, une allocation à hauteur du coût de la vie ou simplement un travail adapté ? Et je n’évoquerai pas non plus la force des préjugés de l’idéologie dominante. Il faut avoir le courage de regarder le réel et s’y cogner, même si cela fait mal. Et la loi de 2005, en dépit de ses avancées, demeure une loi d’idéologie libérale fondée sur le concept tordu « d’égalité des chances ». Aux individus de s’en saisir et bien heureux celui ou celle qui trouvera l’aide et le secours d’une association. Nous sommes si loin de ce que nos révolutionnaires de Condorcet à Romme et Couthon affirmaient à propos de l’assistance qui était un « devoir de l’État ». L’on parle beaucoup de la « personne handicapée », avec parfois des formes de condescendance que celle-ci même refuse. Je revendique pour eux l’emploi du terme « citoyen handicapé », prenant le risque d’étiqueter celui que je considère cependant comme mon égal, mon frère. Cette accolade s’adresse à la société dans son ensemble, car je revendique pour le citoyen handicapé, comme pour tout autre citoyen, le droit à l’existence pleine et entière ; et en ce sens, l’État doit s’assurer que l’ensemble de ses droits sont dignement accordés et que l’on réponde à l’ensemble de ses besoins. Faire que la République, dont c’est la tâche originelle, s’applique à faire qu’en son sein le plus faible « existe », comme disaient nos ancêtres « montagnards ». Le programme pour l’école du candidat du Parti communiste, Fabien Roussel, est intéressant à plus d’un titre à ce sujet. Outre le fait qu’il affirme avec force une réforme en profondeur de la formation des maîtres et de leur recrutement, il réaffirme l’indispensable présence auprès des élèves d’une médecine scolaire de qualité et de la présence de personnels spécialisés et formés. En somme, les moyens matériels et humains d’accomplir ce « devoir de l’État ». Ce devoir de l’État pourrait-il s’accomplir sans l’aide des associations qui gèrent de nombreux services et établissements, me dira-t-on ? Pourrait-il en être autrement, dès lors qu’elles se mettent au service du bien commun ? Outre le bien-fondé de ces propositions, il fixe le cap, l’objectif pour lequel il vaut la peine de se battre, bien au-delà de la date d’un scrutin vers une société « des Jours heureux ». En 1792 Saint-Just appelait cela « conduire la Révolution jusqu’à la perfection du bonheur ».

Alcide CARTON, Inspecteur de l’Éducation nationale retraité