À en croire une récente étude de la Fédération hospitalière de France, menée auprès de 300 établissements, plus de 10 000 infirmiers, infirmières, aide-soignants et aide-soignantes ont quitté leur métier depuis l’apparition de la pandémie de coronavirus. Il s’agit de départs en retraite, de fins de contrats mais aussi de démissions. Le mouvement s’est accéléré avec la troisième vague. La fatigue accumulée et le stress expliquent bien évidemment les démissions. Mais le fonctionnement de l’hôpital public n’y est pas étranger. Nous sommes désormais bien loin des applaudissements depuis les balcons, des remerciements aux petits soldats qui veillaient sur nous et nos proches, qui accompagnaient les victimes de la Covid dans la douleur, voire dans la mort. Nous avons relaté plusieurs témoignages dans ces colonnes. Notamment celui de cette infirmière qui trouvait à peine le temps de dormir, qui quittait un patient un soir et ne le retrouvait pas le matin, qui redoutait la sonnerie du téléphone et des questions posées par les familles. À ce stress et à cette fatigue s’est ajouté le mépris d’un gouvernement qui n’a pas su tenir ses promesses, ou si peu. Un gouvernement qui s’ingénie, qui s’entête à ne pas répondre aux demandes du personnel soignant. Comme si cela ne suffisait pas, le président en personne lui demande de transformer l’essai en consentant des efforts supplémentaires ! On savait pourtant, avant la crise sanitaire, que les recrutements d’infirmiers devenaient très difficiles en raison, précisément, de la pénibilité du travail due aux horaires excessifs et du trop faible niveau de rémunération. Les établissements formateurs voyaient fuir les jeunes diplômés vers la Belgique, vers la Suisse ou vers le secteur privé. Durant la crise, rien ne s’est arrangé, bien au contraire. Combien d’infirmières ou d’infirmiers se sont retrouvés dans des unités de réanimation, du jour au lendemain, sans aucune formation préalable ? Combien de soignants ont eu à déplorer les politiques successives qui ont fermé de trop nombreux lits ? Comment peuvent-ils réagir aujourd’hui quand on leur demande à nouveau de « pousser les murs » ? La fatigue et le stress rongent dans tous les secteurs. Les personnels qui assurent les soins à domicile pour les personnes âgées disent la même chose. Des jeunes ne se voient pas faire ce métier toute leur vie. « Le matin, vous commencez votre journée gonflée à bloc, pleine d’énergie, confie une infirmière. Vous faites le maximum pour transmettre votre bonne humeur et votre optimisme à vos patients. Mais quand vous rencontrez de la désespérance en permanence, vous finissez par craquer. Un beau matin, au lever, vous vous apercevez que vous avez perdu cette belle énergie, ce bel enthousiasme. » Comment, dans un système de santé comme le nôtre, peut-on en arriver là ? La fatigue des soignants risque d’atteindre un point de non-retour. Quand la crise sanitaire s’apaisera, il faudra accélérer les opérations déprogrammées. Et l’hôpital n’aura pas davantage de moyens qu’il n’en avait hier. À force d’épuiser les effectifs soignants, le gouvernement peut s’attendre à une crise sociale de grande ampleur.
Derrière la crise sanitaire couve une crise sociale
Publié le 9 avril 2021 à 12:10