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TRACANCES, TRACAS, TRAQUER

par Philippe Allienne
Publié le 26 août 2022 à 18:30 Mise à jour le 29 août 2022

La chose semble relever du surréalisme. Au moment où les communistes du Nord, comme ceux de l’Oise, organisent une journée à la mer pour les « oubliés des vacances », voilà que surgit un nouveau concept, servi par un très vilain néologisme : les « Tracances ». Les Tracances, c’est une pratique, nouvelle encore, qui permet d’allier travail et vacances. Ce concept n’est pas si nouveau que cela. Le cadre d’entreprise qui emmène son ordinateur portable et son smartphone sur son lieu de vacances, on connaît déjà. Soit il travaille, durant quelques heures dédiées au repos, pour rattraper du retard, soit il se dit persuadé de devoir être à l’écoute en permanence de ses interlocuteurs, soit il est tout simplement incapable de déconnecter. Cela pose question.

Mais le vrai problème ici, porte précisément sur ce qui devient une « nouvelle » pratique qui, par conséquent, est appelée à se développer, à se généraliser. La pandémie de Covid et les périodes de confinement ont servi de déclencheur. Le fait de devoir travailler de chez soi et de pouvoir communiquer avec les collègues grâce aux connexions a ouvert la boîte de Pandore. Travailler de chez soi, hors des contraintes de transport, des contraintes vestimentaires, voire des contraintes horaires, à l’abri du regard des « autres », voilà qui est tentant. Le Covid l’a imposé pour certains, plus d’un l’a pris au mot et n’a plus trop envie de se rendre au bureau. Peu à peu, ce qui était imposé et pris comme une contrainte inacceptable, devient paradoxalement un « droit ». Le droit de ne pas croiser mes collègues tous les jours, le droit de rester chez moi, dans mon cadre intime, le droit de m’organiser autrement, tant que je fais le taf. Certes. Et, fort logiquement, on emmène le travail en vacances. C’est le télétravail porté à son paroxysme. On reste en lien avec l’entreprise, mais on travaille dans un cadre agréable, auprès de ses enfants, de sa famille, etc. « Patron, j’ai envie, ou l’opportunité de partir une semaine en Italie. Évidemment, je vais télétravailler et cela ne changera rien pour vous ! Vous êtes OK ? »

Bien sûr qu’il est OK, le boss. D’ailleurs, voilà une bonne occasion de casser les frontières entre le temps de travail et le temps du repos. Le soldat est finalement toujours disponible. Et, s’il exagère, on pourra toujours le pister, le traquer, grâce à la connexion. Et alors, justement, où va le droit à la déconnexion prévue par la loi El Khomri ? Quel est le prix réel de cette prétendue liberté ? Comment le boulanger ou le maçon pourra-t-il cuire le pain ou monter des murs de chez lui ? Tracances, une contraction entre travail et vacances. Un mot pas beau, fermement opposé au collectif, qui évoque aussi beaucoup de tracas et certainement du traquage patronal. Vous avez dit « liberté  » ?