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Une trace brune durable

par Philippe Allienne
Publié le 24 juin 2022 à 11:02

Voilà, c’est fait. Cette fois, avec ses 89 députés dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, le parti d’extrême droite « Rassemblement national » finalise le travail de « dédiabolisation » lancé par Marine Le Pen. Mieux, la majorité présidentielle œuvre maintenant à le banaliser en lui faisant des appels du pied depuis les résultats du second tour des législatives. L’intervention télévisée du président Emmanuel Macron, ce mercredi 22 juin, ne fait que renforcer ce sentiment. Il a bien compris qu’aucune formation de son opposition ne veut d’un gouvernement d’union nationale. Mais l’essentiel, pour lui, est de mettre en œuvre son programme. Face au public du 20 heures, il n’a cité ni sa Première ministre, ni son projet de réforme des retraites. Mais il maintient que son élection a été remportée sur ses idées et sur son programme (« le projet que vous avez choisi » maintient-il devant les Françaises et les Français), oubliant avec une mauvaise foi époustouflante le vote de barrage contre l’extrême droite. Pour le second tour des législatives, ni les candidats LREM, ni les candidats LR (à de très rares exceptions) n’ont voulu renvoyer l’ascenseur. Après avoir malhonnêtement repeint la coalition de la Nupes aux couleurs - outrageantes selon eux - de l’extrême gauche qu’ils accusent de vouloir installer le chaos en France, ils permettent l’entrée en force du RN au palais Bourbon. Au moment de reporter leurs voix sur des candidats républicains contre des candidats nationalistes obnubilés par l’immigration et mus par la discrimination, ils ont préféré renvoyer les deux forces dos à dos en assurant ne pas vouloir choisir entre la « peste et le choléra ». Résultat, la peste brune s’installe sur les sièges de l’Assemblée nationale et devient la deuxième force derrière le parti présidentiel et devant la FI ! Pour Emmanuel Macron, la nécessité d’agir pour faire passer ses réformes est prioritaire. Si l’idée d’une union nationale n’est plus de mise, il n’exclut pas des unions de circonstance qu’il appelle des « compromis à ciel ouvert », projet par projet. Il parle abondamment des « mesures d’urgence » qui seront proposées cet été : une loi sur le pouvoir d’achat, l’emploi, la santé… Et il regarde sans hésiter vers le RN tout en renvoyant la responsabilité d’un blocage à l’ensemble de son opposition. Du grand art. Le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, avait déjà révélé ce « glissement » en parlant, face à un eurodéputé RN, de la manière possible d’essayer « d’avancer ensemble ». Et puis, il y a ce gros os à ronger qu’est la commission des Finances sur laquelle lorgne Marine Le Pen. Éric Woerth, le député macroniste ex-candidat à la présidence de l’Assemblée nationale, ne s’est pas gêné pour dire sa préférence pour un candidat RN plutôt que pour un candidat Nupes qui ferait selon lui du contrôle fiscal. La messe est dite. La trace brune est là pour durer. Emmanuel Macron peut bien exhorter les groupes d’opposition à travailler avec lui en leur faisant porter la responsabilité d’un désordre, il porte quant à lui celle du succès de l’extrême droite.