La civilisation du poisson rouge

par ERIC BOCQUET
Publié le 26 mars 2020 à 21:31

Cette pandémie nous oblige à rester chez nous et c’est tout à fait logique, car nous sommes convaincus que c’est le meilleur moyen de venir à bout de ce satané virus... Mais le besoin de communiquer chez les humains est absolument irrépressible.

Plus question de se croiser, de se rassembler, encore moins de s’embrasser... Heureusement, les nouvelles technologies nous proposent aujourd’hui des outils formidables qui nous permettent non seulement de parler, mais aussi de se voir. Ainsi, pour préparer les débats au Sénat la semaine dernière, nous avons pu, avec « WhatsApp » et une autre application, échanger en visioconférence sur les deux projets de loi, urgence sanitaire et finances, et définir notre vote.

On a aussi vu surgir des apéros virtuels à distance avec la famille ou les amis, certes ce n’est pas la vraie vie mais au moins ça permet de supporter un peu plus facilement cette situation incroyable. Nous avons du temps à revendre pour nous plonger dans la lecture des nombreux livres en retard, histoire de se mettre à jour. Je viens ainsi d’achever la lecture d’un petit livre de Bruno Patino intitulé : « La civilisation du poisson rouge » chez Grasset ; le sous-titre en est : « Petit traité sur le marché de l’attention. » Cet ouvrage consiste en fait en une sorte d’évaluation de la société du numérique dans laquelle nous sommes désormais immergés.

On y décrit l’être humain d’aujourd’hui, qui se rue sur son téléphone jamais totalement éteint. Il déclenche d’un index fébrile le parcours initiatique du connecté, nous sommes devenus des confinés/connectés... Les mails, WhatsApp, Messenger, Facebook, Instagram... une véritable boulimie. Jamais rassasiés. Toutes les 2 minutes, 30 fois par heure éveillée, pour certains, les plus jeunes sans doute, une fois toutes les 3 heures de sommeil, 542 fois par jour, 198 000 fois par an. Le temps moyen quotidien passé sur smartphone a doublé dans la plupart des pays du monde entre 2012 et 2016 pour atteindre des niveaux déjà inquiétants : 4 heures 48 minutes au Brésil, 3 heures en Chine, 2 heures 37 aux États- Unis et 1 heure 32 minutes en France.

Les statistiques en provenance des États- Unis dépassent l’imaginable, les jeunes Américains consacrent 5 heures et demie par jour aux technologies du divertissement, jeux vidéo, vidéos en ligne et réseaux sociaux et un total de 8 heures devant les écrans. Le poisson rouge est incapable de fixer son attention plus de 8 secondes, après ces 8 petites secondes, il passe à autre chose et remet son univers mental à zéro. Nous avons en ce moment des milliards de secondes pour méditer, réfléchir.