La Marche Funèbre ?

par ERIC BOCQUET
Publié le 31 janvier 2020 à 11:44

La semaine dernière, j’étais chargé, au nom de notre groupe au Sénat, de poser la question d’actualité au gouvernement. Cette séance avait lieu le lendemain de la publication du rapport de l’ONG Oxfam sur les inégalités en France. Le sujet s’imposait. Je n’avais envie de jouer ni du pipeau ni du violon, aussi ai-je décidé d’interpréter une musique alternative. Voici le texte intégral de ma question :

« Monsieur le Président, Madame la Ministre, mes cher.e.s collègues,

Le quinquennat avait débuté un soir de mai 2017 sous les accents de l’Hymne à la joie, et, depuis, l’orchestre gouvernemental nous interprète régulièrement la Symphonie du Nouveau Monde. Lors du concert budgétaire de l’automne dernier, le chef d’orchestre Bruno Le Maire, son premier violon Gérald Darmanin et Olivier Dussopt à la flûte traversière nous ont vanté les vertus d’un budget de justice fiscale et de redistribution de la richesse.

Il y eut un couac cependant lorsque l’Insee annonça qu’en 2018, 400 000 de nos concitoyens avaient basculé dans la pauvreté, portant ainsi à 14,7 % le taux de personnes vivant sous le seuil de pauvreté dans notre pays, pourtant sixième puissance économique du monde.

Hier, l’ONG Oxfam publiait un rapport édifiant sur les inégalités dans notre pays. On y apprend que Monsieur Bernard Arnault (LVMH) a accru sa fortune de 41 milliards de dollars en moins d’un an. Avec cette somme, il serait possible de verser aux 67 millions de Français, bébés y compris, une prime exceptionnelle de 552,07 euros. Monsieur Arnault gagne 11,60 euros chaque seconde. Enfin, sa fortune évaluée à 105,5 milliards d’euros est supérieure au PIB de la Croatie ou de la Côte d’Ivoire.

Certes, Madame la Ministre, vous nous réinterprèterez la mélodie du ruissellement, mais vous avez indéniablement contribué à cette belle réussite, en supprimant l’ISF et en réduisant la taxation des dividendes. Mais comme ma sœur Anne nous ne voyons rien venir... Vous cherchez de l’argent pour assurer le financement des retraites, sans doute y a-t-il là quelques pistes à explorer. Madame la Ministre, quand allez-vous, au vu de ces données, décider de changer votre musique budgétaire et fiscale ? »

Après la réponse de la Ministre, il me reste 11 secondes pour la réplique : « Déjà dans les rues de nos villes, la musique a changé, on interprète Le Lac des Cygnes sur le parvis de l’Opéra Garnier, on chante Le Chœur des esclaves du Nabucco de Verdi aux vœux de Radio France. Madame la Ministre, si vous ne changez pas de partition, je crains que vous ne terminiez votre concert quinquennal avec la Symphonie Pathétique, voire le Requiem de Mozart. »

Depuis, voilà que même le Conseil d’État y va de son couplet dissonant... !