Les luttes fécondes...

par ERIC BOCQUET
Publié le 7 février 2020 à 10:22

Nous vivons une époque formdable. Le mouvement social, qui ne meurt pas mais change de forme au fil des semaines, nous offre des moments incroyables

D’abord, il s’est inscrit dans la durée et s’enracine dans les profondeurs de l’histoire sociale et politique de ce pays. La durée : imaginons un cheminot ayant fait grève depuis 50 jours, il est technicien de maintenance, salaire mensuel moyen de 1 981 euros. Au cinquantième jour il aura perdu 3 301 euros. Sur la même période, notre champion du monde, Bernard Arnault, qui gagne 11,60 euros par seconde aura engrangé la somme vertigineuse de 2 505 600 000 euros ,oui, plus de 2 milliards et demi !

Mais, ce qui frappe aussi dans cette lutte, c’est l’incroyable imagination qui s’est emparée du mouvement. Il y a bien sûr les nécessaires manifestations, les AG, les retraites aux flambeaux, les discussions partout et à chaque instant sur cette réforme des retraites, enfantée par la loi du marché. Ça infuse, ça réfléchit et ça comprend les dangers de ce texte. Monsieur Macron, vous avez perdu la bataille de l’opinion malgré tout l’arsenal que vous mettez en œuvre.

Et ce mouvement, il surprend, il amuse et il se rend sympathique. Nous avons tous été emballés par cette interprétation du Lac des cygnes sur le parvis de l’Opéra Garnier, un samedi de décembre. Les slogans plein d’originalité croisés sur des pancartes, ce CAC 40 qui devient « Conspirateurs Amis des Capitalistes, 40 voleurs ». Ces avocats qui jettent leurs robes aux pieds de la garde des Sceaux en plein discours... À un autre endroit, ils arborent un magnifique rabat rouge par- dessus leur robe remplaçant le blanc réglementaire. Du jamais vu !

Et puis, le tube du mois, incontestablement, la chorégraphie de ces femmes en bleu de travail, foulard rouge dans les cheveux, gants jaunes, au cœur des manifestations, et en musique s’il vous plaît, parodiant un tube des années 80, « À cause des garçons » devenu, dans le contexte, « À cause de Macron ». Elles nous rappellent ce tableau de Norman Rockwell dans lequel il peint, en 1943, une femme dans cette tenue, « Rosie the riveter », Rosie la riveteuse, à l’image de ces femmes américaines remplaçant dans les usines les hommes partis à la guerre. Quelle belle image ! Vraiment, la lutte est féconde, elle stimule l’imagination pour créer de nouvelles formes d’action, jamais au bout de nos découvertes. Alors, le texte de loi est désormais au Parlement. Place à la créativité en parallèle au combat parlementaire, les député·e·s en short et baskets ; quant aux occupants du Palais du Luxembourg, sénatrices et sénateurs en tutus et ballerines !