Dame de cœur au carreau

par Lydie LYMER
Publié le 27 janvier 2023 à 10:12

À 54 ans, Nadine vit seule. Elle n’avait jamais réalisé le danger de l’isolement familial, jusqu’au jour où elle a fait un infarctus. La vie tient parfois à un fil. À un coup de fil. Nadine était au téléphone avec une amie quand elle a ressenti une violente douleur lui écraser la poitrine. Elle a eu le temps de le dire avant de perdre connaissance. Son amie a alerté le SAMU. À l’arrivée des secours, Nadine était en arrêt cardiaque. Elle a vu la mort de près. Et elle est en colère. Nadine est aide-soignante en Ehpad depuis 30 ans. Elle a choisi son métier par vocation, mais elle ne supporte plus de répondre aux exigences de rendement au détriment des patients. Elle a l’impression de ne pas les respecter, par manque de temps. Elle se sent coupable alors le temps, elle le trouve. Sur des heures sup. Son boulot l’a littéralement cassée. Physiquement et moralement. « On manque de personnel alors ils prennent des jeunes qui ne sont pas formés. Ils rentrent dans les chambres sans dire bonjour. Les médicaments sont distribués, ils ne le sont pas, tout le monde s’en fout. » Un résident s’est cassé le col du fémur. Il lui a expliqué qu’il était tombé dans la douche deux jours plus tôt. « Elles le disent pas, les filles, elles ont peur de se faire engueuler. Les gens, ils souffrent et ils meurent comme des chiens. » Elle ne veut pas « être complice ». Alors elle monte au créneau, seule, pour vider son sac à la hiérarchie. Dénoncer ces conditions de travail incompatibles avec la bienveillance qu’on exige des soignants. Elle récolte une sanction disciplinaire. Un blâme. Et blam, c’est le burn out [1] . Et tout un bazar pour toucher des indemnités journalières, en plein été, entre une partie de l’administration en vacances et l’autre en télétravail. Elle ne s’en sort pas financièrement. Elle multiplie les démarches. Elle doit se soumettre à une expertise psychiatrique à la demande de son employeur. Elle a tant pris les choses à cœur qu’il s’est brisé. Aujourd’hui, elle se rétablit. Mais elle n’a que 54 ans. Elle se trouve trop âgée pour une reconversion professionnelle. Et pourtant, elle sait qu’elle ne peut pas continuer. Encore moins jusqu’à 64 ans. Elle n’a plus le cœur à ça.

Notes :

[1Épuisement professionnel.