Des kilomètres de vie

par Lydie LYMER
Publié le 10 mars 2023 à 14:11

En 2022, plus de 45 000 migrants ont tenté de traverser la Manche. 58 % de plus qu’en 2021. À Calais, les associations repèrent les mineurs isolés. Sory a quitté le Soudan à 13 ans. Seul. Il a subi des examens destinés à déterminer son âge. Radios, maturation dentaire. Il a appris le français et suit une formation professionnelle. Il est hébergé en chambre d’hôtel. Seul. C’est son maître d’apprentissage qui alerte. Sory pourtant très assidu n’est pas venu en stage depuis plusieurs jours. Son éducateur inquiet l’amène en consultation. Sory ne mange plus. Il est mutique, les yeux rivés au sol. Tisser un lien est une urgence. Je lui prends la main. Sur son bras, des cicatrices de brûlures, de plaies. Il braque son regard vers moi. « C’est le voyage. » Point. Qu’a-t-il vécu pour parvenir jusqu’ici ? Sory ne dort plus. Il est bientôt majeur, donc expulsable. Il n’a pas de nouvelles de sa famille depuis des mois. La semaine dernière, dans le bus, il a entendu des propos racistes. « Je sais bien que je ne serai jamais comme vous. Mais je suis quand même un être humain ! » Sory se demande à chaque fois qu’il voit au loin les falaises d’Angleterre à quoi rime sa vie. Les mineurs non accompagnés sont pris en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Ce dispositif, qui relève des conseils départementaux et de ses choix politiques, est loin d’être uniformisé sur le territoire. Médecins du monde rappelle que ces jeunes livrés à eux-mêmes sont des enfants en danger, qui doivent être protégés. Leur état de santé physique et psychologique est fragile. Sans ressource financière et sans autre accompagnement que celui des associations, leur accès aux soins est limité. Le projet de loi « asile et immigration » arrive au Parlement. Il s’agira de ne pas traiter les flux migratoires comme un problème à régler. Les vies qui empruntent les routes de l’exil méritent d’être traitées autrement que des gouttes dans l’océan.