Quelle connerie la guerre...

par Lydie LYMER
Publié le 31 mars 2022 à 19:34

Bessam est né et a grandi à Beyrouth. La guerre civile éclate quand il a 15 ans. Sous mandat français jusqu’en 1943, le Liban a encore des liens avec la France. Le bac en poche, Bessam part étudier la médecine à Lille. Il enchaîne les petits boulots. Son père, agriculteur, a déjà payé le voyage. En 1993, la guerre est finie depuis trois ans au Liban. Bessam obtient son diplôme de cardiologie et rentre au pays où il exercera pendant 30 ans. En 2020, il s’apprête à prendre sa retraite quand frappent la crise sanitaire et la crise économique. L’explosion du 4 août dans le port de Beyrouth ravage de nouveau la ville. Les économies et les investissements de Bessam fondent comme neige au soleil. C’est la ruine. Or Bessam a cinq enfants. Les deux aînés font des études à l’étranger. La France qui manque de médecins propose des salaires attractifs. Bessam quitte sa famille pour subvenir à ses besoins. En 2022, son fils Ali a 25 ans. Il est en cinquième année de médecine à Kiev. Il y a peu d’universités au Liban. L’accès aux études en France est difficile pour les jeunes Français qui se tournent vers des facultés privées en Roumanie. Mais Bessam a choisi l’Ukraine, pour ses tarifs plus accessibles. À 4 000 dollars par an, on devient médecin généraliste en six ans. L’Ukraine est membre de la Convention de Lisbonne sur la reconnaissance des diplômes d’études supérieures en Europe. Comme les 75 000 étudiants de toutes nationalités qui y sont scolarisés, Ali pourra travailler où il veut. Sa vie bascule le 24 février, avec l’invasion russe. Il perd des amis. Habib et Issa, d’origine africaine, sont refoulés à la frontière polonaise. Ali parvient à rallier le Liban. Il est vivant. L’université est détruite et il ne finira pas ses études, à moins d’intégrer une autre faculté privée. Bessam en a trouvée une au Maroc, qui accepte Ali moyennant bakchich. Le diplôme ne sera pas reconnu en Europe, et Ali devra passer l’équivalence. Comme son père. Le Liban n’est pas membre de l’Union européenne. Même si Bessam est diplômé en France, son ancienneté et son expérience professionnelle ne sont pas reconnues. Il est embauché comme faisant fonction de cardiologue. À 62 ans, il retourne à la fac. La faim justifie les moyens.

Ndlr : Histoire vraie. Les prénoms ont été modifiés.