États-Unis, Europe, France... le feu social couve

par ANDRE CICCODICOLA
Publié le 12 juin 2020 à 09:30

Aux États-Unis, en réaction à la mort de George Floyd par asphyxie volontaire, de nombreux Américains se sont soulevés. Mais ce soulèvement ne ressemble pas aux embrasements violents contigus aux actes de racisme dont la police américaine est coutumière et qui jalonnent l’histoire moderne des États-Unis. Cette fois, la protestation ne se limite plus à la communauté afro-américaine. Pacifique, elle concerne aussi une grande partie la jeunesse. Certes le mouvement s’élève contre le racisme, mais chaque jour cette protestation tend à se globaliser. Elle se transforme insensiblement en une remise en cause du pouvoir lui-même et du système dont l’iniquité est à nouveau apparue avec la crise de la Covid-19.

La jeunesse étasunienne prend conscience que la ségrégation n’est plus seulement raciale mais aussi sociale. Les raisons de sa colère se multiplient. Le coronavirus contraint les étudiants à étudier chez eux. Beaucoup réclament donc le rembourse- ment de certains frais d’inscription et d’études. À l’université de San Francisco, qui n’est pas parmi les plus chères, ils atteignent 23 000 euros par semestre. On évalue à 1 482 milliards d’euros la dette contractée par 45 millions d’étudiants pour accéder aux études supérieures. Craignant eux-mêmes d’être mis en difficulté financière, les établissements universitaires refusent de consentir à ces demandes, provoquant un vif mécontentement. De plus, les petits boulots ayant cessé avec le coronavirus, beaucoup d’étudiants sont dans l’incapacité de régler leur dû et se trouvent littéralement« en faillite » avant même d’avoir mis un pied dans la vie active.

L’American way of life n’est plus qu’un doux rêve. Cette perspective de futur, jalonné d’embûches et de précarité, sauf à être riche et en bonne santé, nourrit la contestation. Les politiciens américains, et notamment les ultra-libéraux, ont vite saisi la menace que contient cette défiance pour l’avenir du système dont les crises se succèdent, aggravant sans cesse la situation des couches moyennes qui le soutenaient électoralement jusqu’ici. Pour tenter de la contenir, des Républicains - dont George W. Bush himself - annoncent même qu’ils ne voteront pas pour l’actuel locataire de la Maison-Blanche en lui faisant ainsi jouer le rôle de bouc émissaire. Le contre-feu est en marche.

La France n’est pas loin de connaître un scénario similaire avec la résurgence de l’affaire Adama Traoré, mort en 2016 après une interpellation par les gendarmes. Des dizaines de milliers de jeunes se sont rassemblés pour exiger la vérité sur ce drame et pour protester contre toutes les violences policières, notamment celles exercées au nom de l’État à l’instigation du ministre Castaner durant l’épisode revendicatif des Gilets jaunes.

Chez nous aussi, avec la crise sanitaire et la crise économique et sociale lui succédant, de nombreux jeunes (et des moins jeunes) ont pris conscience de la précarité mortifère que font peser sur leurs existences les options du pouvoir consubstantiellement lié à l’argent. L’annonce de vagues de licenciements (800 000 selon le ministre des Finances), de baisses de salaire, d’allongement du temps de travail confirme clairement qu’en laissant les rênes du pouvoir aux mains des dirigeants actuels, l’Après ne vaudra guère mieux que l’Avant.

Le rétropédalage tactique opéré par Emmanuel Macron, conscient lui aussi qu’une lame de fond contestataire se profile, vise, comme aux États-Unis, à l’endiguer, à la focaliser sur la seule question policière afin d’éviter une remise en cause plus globale.États-Unis, Europe, France... le feu social couve. Sommes-nous à l’orée d’une contestation de grande ampleur ? La question vaut d’être posée et avec elle son corollaire : y a-t-il une alternative à la loi d’airain du profit maximum qui produit d’insupportables inégalités et qui épuise les humains et la nature ? L’égalité et l’équilibre humain-nature peuvent-ils enfin devenir l’alpha et l’oméga de nos sociétés ? Qui porte- au-delà des discours lénifiants - ces nécessaires et salvatrices ambitions ? Que faut-il changer ici et maintenant pour en emprunter concrètement le chemin ?