La recommandation de Balzac

par ANDRE CICCODICOLA
Publié le 8 avril 2022 à 10:58

Le président de la République a écrit une lettre aux 35 000 maires de France pour leur dire que, depuis cinq ans, ils ont traversé de nombreuses épreuves, notamment une pandémie. « C’est la main dans la main que nous avons fait face » leur a-t-il précisé. « La main dans la main » ? Vraiment ? Rappelons-nous comment l’épidémie de Covid-19 a été minimisée à ses débuts. Puis, lorsqu’il a été reconnu que les masques étaient nécessaires mais qu’on n’avait pas renouvelé les stocks pour raisons mercantiles, les maires ont dû faire face, souvent seuls. Nombre d’entre eux ont couru la France, l’Europe et même au-delà pour en trouver, aux frais de leurs communes. Cette « main » présidentielle, elle a encore manqué à l’hôpital pris dans la tourmente infernale de la pandémie, qui a tué à ce jour 140 000 personnes en France et continue de frapper. Nous avons tous en mémoire les tragédies qui se sont déroulées quand les lits et les équipements manquaient. Certes l’actuel président, qui fut préalablement ministre de l’Économie, n’est pas l’unique responsable de cette carence hospitalière qui a vu disparaître plus de 103 000 places en vingt ans. Mais il ne peut se dédouaner des quelque 17 600 lits fermés sous son mandat entre 2017 et 2020. Ils l’ont été cette fois encore au nom de critères financiers. « Malgré ce contexte, poursuit le président, nous avons changé la vie des Français. » C’est vrai. Et pour une minorité, ce changement fut rapide. Selon le rapport annuel du Crédit suisse, entre mai 2017 et mai 2018, 259 000 foyers français supplémentaires ont vu leur patrimoine financier grimper et atteindre les sept chiffres. Un miracle, une sorte de multiplication des pains que l’on doit à la suppression de l’impôt sur la fortune et à un abaissement généralisé des impôts contenus dans les limites de la « flat tax ». Les finances publiques y ont perdu 2,5 milliards d’euros annuels. Les Échos rapportent que 10 % des personnes les plus aisées ont obtenu 79 % du gain total de niveau de vie suscité par les réformes. Résultat, notre pays compte 2,5 millions de millionnaires, ce qui fait de nous le champion d’Europe dans ce domaine. Ce titre européen cache un revers sombre. Selon le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), 12 millions de personnes vivaient sous le seuil de pauvreté en 2021, soit un million de plus qu’en 2020. Selon l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques), ce taux de pauvreté monétaire est à son niveau le plus élevé depuis 20 ans. S’il eût fallu qu’une main se tende pour soutenir les maires, c’était à ce moment-là, et c’est encore maintenant. Or, le « quoi qu’il en coûte » du président Macron qui a prévalu pour le secteur économique s’est arrêté sur le seuil des 35 000 mairies que compte la France. Une assistance de 179 milliards d’euros est accordée chaque année au monde financier et industriel. On est en droit de s’interroger sur l’efficience de ces multiples cadeaux dont une partie disparaît dans les dividendes versés aux actionnaires. Bien que les collectivités aient démontré leur rôle irremplaçable de boucliers sociaux, le président annonce qu’elles devront faire 10 milliards « d’économies ». Une situation qui sera aggravée par l’inflation galopante impactant les coûts de fonctionnement et les investissements. Moins de moyens financiers, moins de services publics, moins de solidarité et donc moins de cohésion sociale. Où est l’équité dans tout ça ? Où est l’intérêt commun ? Le président se plaît à dire que l’argent magique n’existe pas. De notre côté, nous pouvons souligner que la parole magique, fût-elle insérée dans une lettre, ne résiste pas aux réalités, et qu’au-delà des promesses, « un long avenir demande un long passé », comme l’écrit Honoré de Balzac.