Le bac E3C, les retraites et un point commun : la brutalité

par ANDRE CICCODICOLA
Publié le 14 février 2020 à 12:41

Aurait-on idée de rouler avec une voiture dont le garagiste aurait diagnostiqué une direction voilée et une roue en état de se décrocher à tout moment ? C’est pourtant ce que le ministre de l’Éducation, M. Blanquer, s’entête à faire tout à fait consciemment s’agissant du bac. Les passagers, eux, refusent de le suivre.

Le ministre de l’Éducation nationale est l’auteur d’une énième réforme du baccalauréat. Elle comporte les E3C (épreuves communes de contrôle continu), un « contrôle » qui n’a de « continu » que le nom, car il est composé de trois mini examens constitués de sujets dans différentes matières, choisis dans une banque de sujets préparés par les équipes de chaque établissement, deux passés en classe de première et un à la fin de la terminale. Son poids compte pour près d’un tiers dans la notation du diplôme, qui ne conserve que quatre sujets. On n’évoquera pas ici le manque de concertation qui a prévalu pour cette réforme, mais la précipitation avec laquelle cette nouvelle modification a été mise en place, étant appliquée dès cette année.

Elle s’est traduite, dans les faits, par une organisation parfois chaotique, une impréparation des élèves et même la divulgation de sujets. Le plus grave, cette formule du bac qui a l’apparence de plus d’égalité, rompt en fait avec son principe même, qui veut que les mêmes sujets soient traités au même moment par tous les candidats. Il y aura, en France, des bacs locaux au rabais. Cette situation avait été pressentie par de nombreux enseignants qui avaient déclenché cent fois le signal d’alarme. « On va dans le mur et nos enfants avec » avaient alerté, de leur côté, les parents d’élèves. Le nombre et l’argumentation des mises en garde auraient dû normalement conduire le ministre à réévaluer immédiatement la situation, d’autant qu’il n’y a aucune urgence en la matière.

Monsieur Blanquer a choisi le passage en force. Cela ne pouvait produire que de la colère puis du refus. Ils sont venus battre les murs de nos lycées. La semaine dernière des milliers de lycéens, de parents et d’enseignants se sont rassemblés aux portes des établissements d’Amiens, Lille, Grande-Synthe... Ils ont manifesté leur refus d’un bac « local, au rabais et inégalitaire ». Dans toute la France des Hauts comme dans celle du bas, des mouvements identiques sont apparus.

La puissance de la contestation a été telle qu’elle a conduit le ministre à déclarer « qu’il était prêt à faire évoluer les prochaines épreuves », reconnaissant ainsi les problèmes posés par sa réforme. Mais au lieu de décréter une suspension et une remise à plat du sujet, Monsieur Blanquer a décidé d’appuyer sur l’accélérateur, encourageant même le recours à la police pour assurer la tenue de son bac.

Ces agissements inquiètent. Ils sèment la zizanie dans les établissements où devrait régner la sérénité. Ils inquiètent pour les conséquences qu’une telle réforme peut avoir sur l’avenir de nos lycéens. Le monde que leur propose le ministre et ses affidés, est pavé de mille obstacles et d’une mise en concurrence sauvage. Nos jeunes, et en particulier ceux issus des milieux populaires, n’étant pas des « héritiers » , l’école est la voie principale pour se construire un avenir. Qu’elle devienne une machine à échecs ou que ses diplômes perdent de leur valeur, et c’est une part de leur futur qui est compromis. Personne ne peut s’y résigner. Le passage en force, la brutalité, sont manifestement devenus un mode de gouvernement.

On le constate avec le bac E3C, ainsi qu’avec la réforme des retraites. Pourtant, un récent sondage Elabe BFMTV a confirmé que 61 % des Francçais, tous âges et professions confondus, souhaitaient le retrait de cette réforme (chez les salariés, le pourcentage est encore plus élevé).

Devant ces pratiques généralisées visant à mettre notre pays au diapason des normes néolibérales assurant des profits maximums, comment s’étonner que le chef de l’État soit très majoritairement jugé « autoritaire » (72 %, + 1 point), « arrogant » (70 %, + 3 points) et même « inquiétant » (64 %, + 7 points)* ? Trois qualificatifs qui témoignent d’un affaiblissement de la démocratie.